Voila l'été






Suivez le guide...






































Comité poulpien : qui se cache derrière ?
Pourquoi Zombi la mouche en direct

Les p'tits gars de la Moskowa


La cité Durel faisait partie d'un enchevêtrement de ruelles et d'impasses coincées entre la rue Leibnitz et le boulevard Ney. À l'Est, la rue du Poteau, et à l'Ouest, la rue Jacques-Dolfus, délimitaient ce qui restait d'un faubourg qui sentait bon le Paris d'avant-guerre, construit entre les anciennes "fortifs" et le chemin de fer de la Petite Ceinture.
Au premier abord, malgré un gentil soleil de fin d'après-midi, ces ruelles aux pavés déchaussés n'avaient rien de très engageant, avec leurs devantures de boutiques d'artisans fermées, leurs maisons et hôtels meublés à moitié détruits ou murés. Le Poulpe s'y aventura néanmoins. Il pénétra par un court passage nommé Saint-Jules et prit à gauche dans la rue Bonnet. À côté de graffs multicolores, une inscription peinte à la main sur un rideau de fer rouillé donnait tout de suite le ton : vous entrez dans un quartier menacé, à vos risques et périls...
La rue Bonnet était longue d'une bonne centaine de mètres et tout juste assez large pour le passage d'une voiture. Des immeubles de deux ou trois étages, des pavillons décrépis et des palissades de chantier s'y succédaient. Le Poulpe ne regrettait pas d'avoir laissé le Soldo à l'hôtel. S'engager dans ces ruelles au guidon de l'engin cacochyme serait revenu à effectuer un passage en rase-mottes avec son vieux zinc, un Polikarpov I-16 datant de la guerre d'Espagne : repérage garanti et plantage assuré.
La rue Bonnet était quasi déserte, à part une volée de mômes qui tapaient dans un ballon à hauteur du numéro 33. Le Poulpe s'en approcha tranquillement, s'attardant sur les différents affichages sauvages qui croisaient sa route.
"Aux vanneaux anonymes qui, le 20/01/95,
À l'aéroport d'affaires du Bourget,
donnèrent leur vie
pour l'émancipation du genre humain.
Le prolétariat reconnaissant.
"

Ou encore :
"Réhabiliter
Restaurer un bâtiment
Réparer une injure
Un dommage
Causé à quelqu'un
À quelque chose.
Fédération anarchiste.
"

Chouette quartier finalement, sourit intérieurement le Poulpe. Les deux disparus de la morgue avaient dû parcourir ces mêmes ruelles, fouler ces mêmes pavés, shooter dans le même ballon que les gamins qu'il avait devant lui. Et puis la vie ou autre chose en avait décidé autrement.
Parvenu au numéro 33, Gabriel s'immobilisa. L'immeuble, haut de deux étages, était situé en retrait et couvert de vigne vierge. Un air de reggae s'échappait des fenêtres ouvertes et un tas d'objets hétéroclites, vieux vélos, moitiés de tables de ping-pong, sculptures bizarroïdes s'entassaient dans le jardinet de devant. Sur le portail qui y menait, un panneau annonçait : Association de la Moskowa.
Le Poulpe entra et suivit la musique. La cage d'escalier était délabrée mais badigeonnée en bleu turquoise, ce qui lui donnait un peu plus de gaieté. Au premier étage, il pénétra dans une grande pièce dont les cloisons avaient visiblement été abattues pour en faire un atelier. Des dessins d'enfants ornaient les murs et un groupe de jeunes, la vingtaine rappeuse, discutait autour d'une table.
- Salut, fit Gabriel en arborant un sourire décontracté. Les jeunes s'arrêtèrent de parler et se retournèrent. Méfiants.
- Salut, répondit l'un d'eux, baggy trousers et Nike-Air aux pieds.
- Je m'excuse de vous déranger, les gars, mais j'ai un problème. Vous pouvez peut-être m'aider...
Les types le dévisagèrent sans rien dire. C'était loin d'être gagné. Qu'est-ce que ce gros lourd en parka leur voulait ? Le Poulpe n'avait ni l'âge ni la fringue alternative qui convenait à la situation. Il poursuivit quand même sa petite idée.
- Voilà, je travaille au journal du 18ème et j'avais rendez-vous avec deux mecs du quartier.
- Qui ça ? demanda un sosie de Kool Shen, le chanteur de NTM.
Ça se corsait.
- Un black et un beur...
Les types rigolèrent.
- T'as que ça par ici ! fit le gars aux Nike.
- Ils habitaient cité Durel.
Les rires stoppèrent immédiatement. Le Poulpe sut qu'il avait mis les pieds dans le plat et qu'il n'obtiendrait rien avec ce genre d'approche. Il continua pour la forme.
- Je sais ce que vous pensez. Mais ça n'a rien à voir avec leur disparition. Je fais un article sur les activités du quartier. C'est pour ça que j'avais rendez-vous avec eux.
- Ben eux, y'faisaient pas grand-chose, dit l'un des types.
- Ta gueule, Karim ! l'interrompit le clone de Kool Shen.
Les gars n'étaient pas des balances, un bon point pour eux, mais ça ne ferait pas avancer le schmilblik. Le silence s'installa, rapidement rompu par Nike-Air Jordan :
- Écoute, je sais pas pourquoi t'es là, dit-il à Gabriel en se levant, mais ici c'est l'Association Moskowa, pas un bureau de renseignements. On s'occupe des enfants, on fait de la musique, on organise des braderies et basta. Si c'est vraiment les activités du quartier qui t'intéressent, les Moskokids font un concert ce soir au local. T'as qu'à venir, t'en apprendras assez pour ton article.
Le Poulpe balança ses grands bras, histoire de rappeler à tous son gabarit impressionnant, puis enchaîna en souriant :
- Impeccable, c'est exactement ce qu'il me fallait. Il est où votre local ?
- Au 52, dans l'ancienne imprimerie.
- Merci du tuyau, à ce soir !
Le Poulpe les entendit entrer en grand conciliabule à peine avait-il le dos tourné. Pas difficile d'imaginer ce qu'ils se racontaient : Qui c'est ce keum ? T'es ouf toi, pourquoi tu l'as invité ? Ta gueule, il a l'air clean, etc.
Bon, il avait au moins appris deux choses :
1) il y avait des types bien dans le quartier, qui ne ressemblait pas au coupe-gorge décrit dans les journaux ;
2) la personnalité des disparus restait un mystère, et ça ne serait pas de la petite bière de l'élucider.
Dans la rue, le Poulpe croisa à nouveau la bande de gamins qui tapaient dans le ballon en hurlant. Il n'aimait pas ce genre de méthode mais il sortit un billet de cent balles, se ravisa et en rajouta un deuxième, puis il chopa par le bras un futur José Touré :
- Dis donc, petit, voilà de quoi te payer un maillot du PSG. Tu pourrais me dire à quel numéro de la cité Durel habitaient les deux grands qui sont morts la semaine dernière ?
Le reste de la bande avait déjà parcouru une vingtaine de mètres et le gamin jeta un coup d'œil alterné à ses copains et au mètre quatre-vingt-cinq du Poulpe.
- Le PSG, c'est de la merde, fit-il, je préfère le Red Star.
- Excellent choix. Tu me réponds quand même ?
Le petit black fixa les deux billets perdus dans la grande main du Poulpe puis dit rapidement :
- Facile, ils habitaient au 19, dans la cour de mon immeuble.
- Merci... Tiens, ils sont à toi.
Le gamin se dégagea, prit les billets et fila vite fait retrouver les autres.
En se retournant, Gabriel vit arriver sur lui une splendide black aux yeux verts, l'air à peu près aussi aimable qu'une lionne devant sa proie.
- Qu'est-ce que vous lui vouliez à mon frère ?
- Moi ? Rien, je lui expliquais juste comment faire un petit pont.
- C'est tout ?
- Absolument.
La black le dévisagea de ses magnifiques yeux verts, fit une moue dubitative puis reprit son chemin en appelant son frère.
Question discrétion, le Poulpe avait déjà fait mieux.


Regarder en arrière
1 2 3 4 5

Aller de l'avant