Voila l'été






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Comité poulpien : qui se cache derrière ?
Pourquoi Zombi la mouche en direct

Les objets du culte


Incroyable ce qu'un petit saut en Solex dans le 18ème arrondissement pouvait avoir de dépaysant. Entre ceux de la Moskowa qui se la jouaient San Francisco 1967 revisited et les adeptes du vaudou qui essaimaient dans toute la banlieue parisienne, l'aventure était vraiment au coin de la rue, comme disait l'autre...
La matinée suivante du Poulpe commença par une petite visite dans l'appartement de l'Haïtien, celui qu'il avait repéré le premier jour au deuxième étage de l'immeuble de Drissa. Le passe-partout du capitaine des pompiers fit une fois de plus merveille mais, même sans lui, Gabriel n'aurait eu aucun mal à forcer la serrure branlante... L'appartement était composé d'une pièce à vivre de trois mètres sur quatre environ, peinte en bleu délavé, et d'un coin cuisine attenant, séparé par une cloison coulissante en plastique. Il ne restait plus grand-chose dans l'appartement, mais l'attention du Poulpe fut attirée par une sorte de haute marche en plâtre, montée grossièrement dans un coin de la pièce. Il s'en approcha et il y vit de nombreux ronds de bouteilles ou de verres, ainsi que des coulures de cire en quantité. Des trous et des traces plus claires sur le mur prouvaient qu'il y avait eu également moult objets ou tableaux accrochés au-dessus de la marche. S'il avait bien suivi le cours de Madame Clarissia, il avait certainement à faire à un petit autel individuel, un "rogatoire" où l'Haïtien célébrait ses lwa... Gabriel fit le tour de l'appartement à la recherche d'autres indices vaudouisants. Abandonné dans le placard de la cuisine, il trouva un petit paquet en jute soigneusement ficelé qui aurait pu ressembler à un sachet d'épices. Lorsqu'il en approcha le nez, l'odeur nauséabonde lui indiqua qu'il s'agissait sans doute d'autre chose... Il faillit l'ouvrir pour en vérifier le contenu mais, au dernier moment, un vieux fond de superstition l'en dissuada. Il le fourra dans sa poche, se promettant d'en parler à Madame Clarissia. Il finit sa fouille systématique en arrachant le Tapisom constellé de taches et de trous de cigarettes qui recouvrait le parquet. Aux quatre coins de la pièce, des figures symboliques compliquées apparurent, tracées en rouge à même le bois. Brrr... Le Poulpe se dépêcha de quitter cet endroit malsain. De toute façon, il en avait assez vu.

Il rappela aussitôt Madame Clarissia et prétendit s'être fait poser un lapin par un supposé sorcier haïtien qui devait lui fournir des renseignements capitaux pour son livre. Mais quand il était arrivé, il avait trouvé l'appartement vide... Il voulait savoir si les signes qu'il avait retrouvés chez lui attestaient bien d'une pratique vaudou. Les réponses de Madame Clarissia ne firent que confirmer les soupçons de Gabriel... L'Haïtien était bel et bien un vaudouisant. La seule existence de l'autel, pour révérer ses lwa, et la présence des vévé sur le sol, qui consacraient le lieu, étaient là pour en témoigner. Plus inquiétant, le petit sachet retrouvé dans la cuisine tendait même à prouver qu'il s'agissait peut-être d'un oungan. En effet, d'après Madame Clarissia, ce sachet était un wanga, un paquet magique constitué de divers ingrédients et fétiches qui concentraient des forces spirituelles afin d'obtenir soit une protection contre les maléfices -il s'agissait alors de magie défensive-, soit une attaque contre de présumés ennemis -magie offensive. Seul un examen approfondi permettrait à Madame Clarissia de déterminer la nature exacte du wanga en question. Mais quoi qu'il en soit, il n'y avait qu'un oungan pour réaliser un tel "travail". Et Gabriel avait été bien inspiré de ne pas l'ouvrir lui-même... Tant qu'il y était, le Poulpe la questionna aussi à propos des zombis. Après s'être un peu fait prier, Madame Clarissia lui expliqua par le menu le phénomène. Il ne s'agissait évidemment pas de véritables morts vivants mais de personnes empoisonnées par une substance qui les faisait tomber dans une sorte de catalepsie, ce qui leur donnait, pendant quelques heures, l'apparence d'un mort. Quelques rares oungan "servant des deux mains", c'est-à-dire pratiquant la magie et la sorcellerie, connaissaient le secret et la dose exacte du poison à administrer pour rendre l'individu apparemment mort et pouvoir le "réveiller" dans la tombe ou la fosse dans laquelle il avait été enterré. Moyennant l'absorption continue d'une faible quantité de ce poison, on pouvait par la suite "conserver" le zombi dans un état semi-conscient et en faire à peu près ce qu'on voulait. La zombification était considérée à juste titre par les vaudouisants comme la punition suprême, car elle ramenait l'individu à la condition d'esclave, ce contre quoi, précisément, le vaudou s'était élaboré. À sa connaissance, ces pratiques n'avaient pas cours dans la diaspora haïtienne car elles réveillaient trop de mauvais souvenirs. Les derniers véritables cas de zombis recensés dataient en effet des Duvalier. Pour assurer la durée de son régime, Papa Doc s'était fait passer pour un défenseur zélé de la culture africaine et avait soutenu le réemploi politique du vaudou, comme âme de la race noire. Mais en réalité, il n'avait fait que mettre les oungan au service de sa dictature, les employant comme informateurs ou comme agents incorporés dans la police parallèle des Tontons-macoutes, créée sur le modèle nazi. S'appuyant uniquement sur les aspects négatifs du vaudou, la magie et la sorcellerie, les Duvalier avaient fait régner la terreur dans les campagnes, n'hésitant pas à recourir aux zombis pour effrayer la population. On prétendait même qu'une grande partie des Tontons-macoutes étaient des zombis "dirigés" par des oungan. D'après Madame Clarissia, cette période avait causé un grand tort à la véritable religion vaudou, presque autant que les campagnes antisuperstitieuses répétées des Américains au début du siècle...
Avant de raccrocher, le Poulpe demanda à Madame Clarissia si elle voyait un moyen de retrouver ce sorcier qui se faisait appeler l'Haïtien. Existait-il un lieu qu'il pouvait fréquenter, une manifestation à laquelle il pouvait se rendre ? Elle partit d'un grand rire. Des Haïtiens, il y en avait quelques milliers à Paris, et presque autant de vaudouisants... Mais elle tâcherait de se renseigner, qui sait ? De toutes les manières, pour son livre, il ne lui en apprendrait pas beaucoup plus que ce qu'elle lui avait dit...


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