Voila l'été






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Comité poulpien : qui se cache derrière ?
Pourquoi Zombi la mouche en direct

L'esprit des lwa


Au guidon de son fidèle engin, le Poulpe franchit le pont de Clichy à la nuit tombée et se dirigea vers l'entrée du cimetière des chiens, située légèrement en contrebas, juste au-dessus des berges de la Seine. Vêtue d'une ample robe blanche et d'un fichu de même couleur sur la tête, Madame Clarissia l'attendait comme convenu devant le portail. Elle avait un visage rond et souriant, rehaussé par un regard intense fait d'ombre et de braise.
- Suivez-moi vite et ne posez pas de questions. Je vous expliquerai les choses au fur et à mesure... Vous avez pensé à ma petite commission ?
On payait pour voir. Logique. Le Poulpe sortit une liasse de billets confortable puis emboîta le pas de Madame Clarissia, très curieux de ce qui l'attendait. Ils descendirent sur les berges, longèrent pendant une cinquantaine de mètres les fondations bétonnées du cimetière puis entrèrent par une porte dérobée sous celui-ci. Ils se retrouvèrent dans un vaste espace au plafond bas et brut de décoffrage. Le sol était en terre battue et la lueur dansante de dizaines de bougies de tailles variées disposées en différents endroits donnait au lieu l'atmosphère trouble d'une cérémonie secrète. Ce dont il s'agissait effectivement... Le temps que ses yeux s'accommodent à la semi-pénombre et le Poulpe repéra une vingtaine de participants accroupis le long des murs, totalement silencieux.
Madame Clarissia se retourna vers lui et chuchota :
- Comme la plupart des Blancs-France, je suppose que vous ne connaissez rien aux rites vaudou, ou alors que vous en avez une image complètement déformée...
- Absolument exact... Je suis ici pour apprendre, marmotta humblement Gabriel.
- Je ne pourrai pas tout vous expliquer en une fois. Le vaudou est la matrice d'une civilisation qui s'étend de l'Afrique aux Amériques. C'est le lien entre Dieu, l'homme et la nature, à la fois une religion, une force de résistance et une pratique qui a des retombées positives dans la vie de tous les jours. Mais vous pourrez toujours me rappeler si vous souhaitez éclaircir certains points...
Le Poulpe acquiesça.
- Vous êtes ici dans un oufù, fit Madame Clarissia en désignant d'un mouvement de bras l'endroit où ils se trouvaient. C'est le temple vaudou, l'endroit où se passent les services, c'est-à-dire les cérémonies. Nous préparons ce soir une fête très importante pour nous, la fête des Gédé. Elle a lieu le 1er novembre et c'est un peu l'équivalent de votre Toussaint. Nous y fêtons les lwa de la mort... Vous savez ce qu'est un lwa, monsieur Lecouvreur ?
Le Poulpe fit un signe négatif. Madame Clarissia leva les yeux au ciel et poursuivit.
- Les lwa sont un peu comme vos saints. Ils sont les intermédiaires entre le Grand Maître et les hommes, entre le visible et l'invisible. Chaque lwa est en liaison avec un domaine précis de la nature, l'air, la terre, l'eau ou le feu, avec des arbres, des plantes, mais aussi des comportements humains, des couleurs et des rituels particuliers. Les lwa sont l'élément essentiel du culte vaudou, les forces bénéfiques ou maléfiques qui structurent le temps et l'espace, l'existence de l'individu de la naissance à la mort et qui lui permettent de connaître ou de réaliser son destin. Tout événement heureux ou malheureux prend signification grâce aux lwa, qui font que rien ne peut nous apparaître absurde ou injustifié.
Madame Clarissia reprit son souffle et Gabriel songea qu'il lui faudrait être patient pour en arriver aux seuls sujets qui l'intéressaient vraiment : l'existence des zombis et celle d'un dénommé l'Haïtien.
Son initiatrice reprit :
- Le culte vaudou, qui est essentiellement celui des lwa, se pratique à un double niveau. Individuel d'abord : chaque vaudouisant installe, en général dans sa chambre à coucher, un "rogatoire" sur lequel sont disposées une bougie et une image de son lwa-rasin, celui qu'il a hérité de ses parents. Collectif ensuite : pour célébrer les lwa de la famille ou ceux auxquels on veut faire appel, les adeptes sont rattachés à un oufù, comme les catholiques sont rattachés à une paroisse.
- Vous faites souvent référence à la religion catholique, intervint le Poulpe.
- C'est normal... Bien qu'il ne soit que la continuation et la synthèse de diverses pratiques et croyances africaines, le vaudou "moderne" s'est constitué au moment de la déportation vers le Nouveau Monde de millions d'esclaves noirs. Du bétail ; moins encore : des végétaux, du "bois noir", voilà comment étaient considérés nos ancêtres par les Européens de l'époque. Le Code Noir, préparé en France sous Louis XIV, en est un cruel exemple. Il régissait tout le système esclavagiste et niait tout droit au peuple noir, y compris et surtout celui de pratiquer ses traditions religieuses. Résultat, pour survivre, le vaudou s'est servi des rites et symboles du catholicisme. Ainsi, chaque lwa est souvent associé à un saint de l'iconographie catholique : saint Jean-Baptiste pour Chango, l'esprit de l'éclair et du feu, sainte Claire pour la mère des jumeaux Marassa, saint Pierre pour Papa Legba, maître des carrefours et de l'entrée des temples...
- Je vois... Et en quoi consiste une cérémonie vaudou ? l'interrompit Gabriel qui se voyait déjà apprendre toute la cosmogonie vaudou par cœur.
Coupée dans son explication, Madame Clarissia, lui jeta un regard sombre puis consentit à lui répondre.
- Vous ne pourrez pas assister au service, car vous n'êtes pas initié. Mais je vais vous le raconter... Le oufù où nous nous trouvons est constitué d'un péristyle, véritable salle de danse où les lwa se manifestent. Au centre du péristyle, vous pouvez apercevoir le poteau-mitan, autour duquel sont disposées des offrandes de nourriture et de boissons. C'est l'axe de liaison entre le monde terrestre et le monde céleste, le chemin qu'empruntent les lwa pour descendre sur terre. Sans poteau-mitan, pas de cérémonie vaudou ! L'autre instrument essentiel, ce sont les trois gros tambours que vous voyez là... Ce sont eux qui servent à appeler les lwa. Ils sont considérés comme des divinités à part entière...
- Et quel est votre rôle ? coupa de nouveau le Poulpe.
Cette fois, Madame Clarissia ne se fit pas prier pour répondre.
- Je suis une manbo, une prêtresse vaudou. Je suis le maître absolu de mon oufù. C'est moi qui dirige les cérémonies et qui interprète le langage des lwa. Je suis à la fois médecin, voyante et psychothérapeute. J'ai reçu mon pouvoir en héritage et j'ai passé de nombreuses épreuves initiatiques pour le développer.
- Existe-t-il aussi des prêtres vaudou, je veux dire des hommes ?
- Bien sûr. Des hommes et des femmes. Sur ce point aussi, vous voyez, le vaudou est en avance sur d'autres religions. Les prêtres sont des oungan. Comme les femmes, ils doivent accomplir de longues et périlleuses cérémonies d'initiation. Car différents grades existent... Laissez-moi maintenant vous raconter le service... Assise sur mon fauteuil, celui que vous voyez dans le péristyle, j'entame d'abord la litanie des saints, les cantiques et les prières. J'invoque ensuite les lwa et procède au rite du jeté-dlo, qui consiste à verser de l'eau autour du poteau-mitan vers les quatre points cardinaux. Puis je commande aux tambours et la cérémonie débute vraiment avec le dansé-lwa. Après avoir tracé sur le sol les vévé, signe symbolique des lwa recherchés dans la séance, la crise de possession commence... Tel ou tel lwa s'incarne en tel ou tel fidèle, et transmet les messages heureux ou malheureux qu'il a à transmettre... Je suis vraiment désolée que vous ne puissiez assister à ça, monsieur Lecouvreur, mais c'est la règle dans cet oufù.
- Et les sacrifices, les envoûtements, les mauvais sorts ? demanda Gabriel qui ne perdait pas le Nord.
- C'est autre chose, monsieur Lecouvreur, répondit Madame Clarissia sur la défensive. C'est tout autre chose... Le vaudou a de grands pouvoirs, qui peuvent être bénéfiques ou maléfiques... Certains oungan se servent de leurs pouvoirs à des fins mal appropriées... Mais tôt ou tard, les lwa se retournent contre eux...
- Une dernière question, chère Madame Clarissia... Vous êtes nombreux à pratiquer le vaudou par ici ?
- Cher monsieur Lecouvreur, vous êtes bien placé pour le savoir : la diaspora haïtienne est nombreuse et multiforme. Nous sommes serveurs, chauffeurs de taxi, femmes de ménage, cuisiniers, musiciens ou dactylos, mais où que nous soyons, à Paris, à New York, au Brésil, aux Antilles ou en Afrique, "nous cherchons la vie". Le vaudou est certainement l'une des plus grandes religions du monde, une religion pour le troisième millénaire ! Et une arme pour lutter contre le découragement, la solitude et le déracinement... Mais pour répondre à votre question, nous officions beaucoup dans le 20ème arrondissement, à Barbès et surtout en banlieue : Villejuif, Montfermeil, Stains, Aubervilliers... Notre plus grand problème, dans les cités HLM, c'est de faire résonner les tambours sacrés la nuit, ainsi que l'absence de terre battue pour boire le sang des sacrifices... C'est pourquoi nous venons ici.
Burp... Gabriel en savait assez pour ce soir. D'autant plus que derrière eux, les fidèles commençaient à s'affairer, offrandes à la main, autour du poteau-mitan. Il remercia poliment Madame Clarissia pour son cours ex cathedra et promit de la rappeler dans les prochains jours pour "quelques éclaircissements". En effet, il se voyait mal lui poser de but en blanc la question qui lui brûlait les lèvres : qu'en était-il des zombis de la légende haïtienne ? Le Poulpe n'avait pas très envie de finir comme offrande autour du poteau-mitan...


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