Voila l'été






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Comité poulpien : qui se cache derrière ?
Pourquoi Zombi la mouche en direct

Embrouilles et magouilles


Le quatrième soir, alors qu'il commençait à trouver le temps long et qu'il venait juste de prendre ses quartiers de nuit dans l'immeuble des Caseneuve, le Poulpe fut réveillé par un bruit de cavalcade qui résonnait sur les pavés de la cité Durel. Il se pinça pour être sûr que cette fois il ne rêvait pas, puis il sortit de son duvet et alla voir dans la rue de quoi il retournait. Des jeunes visiblement très agités couraient vers l'ancienne imprimerie qui servait de local à la Moskowa. Les sens en alerte, le Poulpe attendit que la bande soit passée puis les suivit, aussi discrètement que possible. Arrivé devant l'entrée, il constata que la porte était verrouillée mais que des lumières brillaient à l'intérieur. Il colla son oreille contre la porte mais n'entendit qu'un vague brouhaha et décida d'attendre la suite des événements dans l'ombre de l'immeuble voisin.
Au bout d'une demi-heure, la porte s'ouvrit avec précaution et les jeunes sortirent un à un en silence, armés des battes de base-ball et des barres de fer que Gabriel avait vues derrière la scène le soir du concert. Il reconnut au passage ses petits copains de l'atelier pour enfant, Nike-Air Jordan, le sosie de Kool Shen, Karim et les autres... Drôles de jeu pour enfants qu'ils préparaient là.... Gabriel attendit que le gros des troupes soit parti puis se dirigea en titubant vers les deux mecs qui étaient restés pour fermer la porte.
- Ssssalut, la compagnie... bégaya-t-il en guise d'introduction.
Les deux types sursautèrent.
- Qu'est-ce tu fous là, toi ? répondit l'un d'eux, vingt-cinq ans environ et look post-punk de circonstance.
- Y'a... Y'a une p'tite fffête qui se prépare, on dirait... nnnon ? continua Gabriel, forçant son personnage.
- Va te coucher, le vieux, y'a rien à voir, intervint l'autre, qui avait l'air plus sage.
- Z'êtes sûr... Y'a pppas un p'tit coup à boire ?
- Tu schlingues, mec, tire-toi.
Les deux types se regardèrent en levant les yeux au ciel. À ce moment, un troisième larron que le Poulpe n'avait pas vu revenir vint mettre son grain de sel.
- Qu'est-ce qui se passe, y'a un blème ?
Merde. C'était Nike-Air Jordan. Une batte en acier de gros calibre pendait au bout de son bras. Instinctivement, le Poulpe recula d'un pas, autant pour parer une attaque éventuelle que pour fuir la lumière du réverbère.
- Cool, Khams, fit celui qui tenait les clés, c'est juste un gros relou qui voudrait bien se pichtave...
Méfiant, Khams dévisagea Gabriel puis s'approcha de lui.
- J'te connais, toi...
Khams lui arrivait au menton et Gabriel ne pouvait pas se cacher sous son chapeau... Re-merde. Les deux autres l'entourèrent aussitôt, nerveux comme des mouches autour d'une bouse.
- Qui c'est, Khams ? demanda le punk.
- Je sais pas, bordel, mais y fouine dans le quartier... C'est quoi cet accoutrement ? fit-il, menaçant.
Gabriel prit une petite giclée d'adrénaline et recula encore, prêt à frapper si nécessaire.
- Du calme, les gars. On va s'expliquer tranquillement. Posez-moi d'abord vos petites cannes à pêche...
Pour donner plus de poids à sa proposition, le Poulpe retira rapidement son manteau et son chapeau puants, sans quitter les types des yeux. Les trois gugusses hésitaient manifestement à cogner.
- T'es un putain de flic, ou pas ? demanda Khams, visiblement impressionné par l'aplomb du Poulpe.
- Si j'en étais un, ça fait longtemps que la cavalerie serait arrivée pour confisquer vos jouets... D'ailleurs, qu'est-ce que vous comptez en faire ?
- C'est nous qui posons les questions, putain ! aboya Khams.
- Ouais, firent les deux autres.
- Donnant-donnant... Je vous dis pourquoi je suis là, vous me rencardez sur votre petit coup.
- Y'a pas de petit coup, on va se défendre, c'est tout, répondit celui qui avait l'air sage.
- Tais-toi, maugréa Khams en soupesant sa batte. Lui d'abord...
Gabriel haussa les épaules.
- Écoutez-moi bien... Je m'appelle Gabriel, je ne suis ni flic, ni indic, ni journaliste, ni rien du tout. Il y a deux semaines, Kamel et Djaoud sont morts soi-disant d'overdose, puis leurs cadavres ont disparu de la morgue. Si ça vous semble normal, si ça ne vous fait rien de perdre des potes, si ça ne soulève aucune question dans vos petites têtes... très bien, mais c'est pas mon cas. C'est pour ça que je suis là. Point à la ligne. À vous !
Leur garde avait baissé. Le Poulpe avait marqué un point.
- Tu les connaissais ? demanda Khams.
Gabriel secoua la tête.
- Est-ce que Moïse connaissait tous les péquins à qui il a fait traverser la mer Rouge ? Est-ce que le Che connaissait tous les Cubains à qui il a sauvé la mise ?
- Arrête tes conneries. Tu les connaissais ou pas ?
- Ni des lèvres ni des dents... Et alors ? La justice, la solidarité, la vérité, ça n'évoque rien dans vos crânes de piafs ? Je croyais pourtant qu'ici c'était différent...
- Eh ! Tu me traites, là, fais gaffe ! fit le punk en se dandinant sur place.
- J'te traite pas, j'constate... et si tu continues y'aura plus grand-chose à constater, comprendo ?
Et si les assassins de Kamel et Djaoud se trouvaient devant lui ? Cette pensée traversa l'esprit du Poulpe, qui balança ses grands bras avec une forte envie de jouer au marteau-pilon. Ces petits crétins commençaient à l'agacer sérieusement et c'est pas avec leurs cure-dents qu'ils allaient l'impressionner.
- J'attends toujours votre confession... fit-il en prenant sur lui. Vous allez attaquer une autre bande, ou quoi ?
Les trois types se regardèrent, puis Khams prit la parole.
- T'as rien à voir avec les "gros bras" qui vont débarquer au 35 rue Bonnet tout à l'heure ?
Le Poulpe mima l'incompréhension.
- Quels gros bras ? Vas-y, explique...
Le plus sage se lança :
- On a été averti par quelqu'un qui nous soutient à la mairie qu'un commando de vigiles allait venir mettre à sac l'atelier demain matin à la première heure.
- Pourquoi ?
- L'avis d'expulsion a été repoussé par le tribunal mais le propriétaire ne veut rien savoir. Il veut nous virer avant l'hiver, après, il pourra plus le faire...
- Vous faites la grève des loyers, c'est ça ?
- Explique-lui Daniel, fit Khams à celui qui avait l'air sage.
- Ouais... L'immeuble est pourri et les loyers hors de prix. On paye mille deux cents balles pour une chambre de cinq mètres carrés, et deux mille cinq cents pour dix-sept. Sans eau chaude, avec seulement trois W-C et une douche en état de marche pour trois étages !
- Et j'te dis pas la gueule des fils électriques... rigola Khams.
Le Poulpe commençait à comprendre.
- Et bien sûr, le proprio refuse de faire les travaux...
- Exact, malgré l'avis des experts du tribunal. Mais apparemment, il a des appuis à la mairie. On lui a accordé des délais pour faire les travaux. Et tant que le dossier n'aura pas atterri sur le bureau du Préfet, rien n'avancera. Il n'y a que lui qui peut forcer le propriétaire à démarrer le chantier...
- Vous squattez depuis combien de temps ?
- Un an et demi. Un "squat par nécessité", ça s'appelle. C'est nouveau, ça vient de sortir mais c'est officiel.
- Vous savez qui est le proprio ?
Daniel embraya aussitôt. Il connaissait bien son dossier.
- D'après nos informations, le nouveau propriétaire est une SCI, une société civile immobilière domiciliée dans le Val-de-Marne. Elle est constituée "pour la construction et la vente d'un immeuble collectif à usage d'habitation", et gérée par une IFI.
- Késako ? intervint le Poulpe dont les compétences juridiques atteignaient leur point limite.
- Une ingénierie financière et immobilière. Un gros truc, quoi...
- Dis donc, tu touches ta bille !
- J'ai fait du droit à Villetaneuse, Paris 13, répondit Daniel modestement. Tu veux que je continue ?
Gabriel acquiesça.
- Le plus marrant, si on veut, c'est que huit des douze appartements qui doivent être construits à la place du local ont déjà été vendus sur plan à des gogos. À vingt-six mille cinq cents francs du mètre carré !
- Ça explique la nervosité du proprio... dit Gabriel.
- Ouais... mais c'est absolument illégal ! ajouta Daniel.
- Magouilles et compagnie... renchérit Khams.
Gabriel réfléchit un moment puis demanda :
- Le combat ne vous semble pas perdu d'avance ?
- Pas nécessairement, répondit Daniel. S'il est établi qu'il y a vraiment eu des magouilles, comme dit Khams, que le propriétaire précédent a été abusé, les ventes peuvent être cassées et le projet abandonné. On a des droits à faire respecter, merde !
- Et puis de toute façon, on n'a pas le choix, intervint Khams. On veut bien être relogé, mais y'a rien pour nous dans le secteur. Zéro logements sociaux... Merci Jacquot !
Le Poulpe n'hésita pas plus longtemps.
- O.K., les mecs, je marche avec vous pour demain matin, si vous êtes d'accord. Mais faudra me renvoyer l'ascenseur le moment venu...


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