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Il laissa la balle glisser au sol avec dédain et se contenta de soupirer en remontant les babines en souvenir de générations passées et féroces dont il savait que, quoiqu'on en pense, les gènes lui avaient été transmises. (28) Epileptique reconnu, le chien Léon faisait à terre sa part de boulot : il gênait le passage. S'il s'était mis à gambader entre les tables les habitués se seraient inquiétés de son état. (54) Léon, le clebs local, un de ces bergers allemands de café paranoïaque à force d'être gentil le jour et féroce la nuit, un monstre pelé aux yeux légèrement voilés par l'âge, qui se tenait sur son cul près de la table de Gabriel, espérant le susucre interdit. Gabriel l'aimait un peu ce clébard, à force de le voir planté comme un sphinx tous les matins, alors qu'il avait une sainte horreur des chiens et des pigeons, les premiers beurrant consciencieusement les trottoirs de son arrondissement et les seconds bouffant les déjections des premiers. Il l'aimait bien, Léon, parce qu'il était comme une potiche intégrée au mobilier de son rade favori, un café qui fonctionnait, dans son appartement personnel, comme le salon ou la bibliothèque. (1) Et puis du côté odeur, il semble avoir quelques lacunes : Ici, l'amour est réciproque, puisque Gabriel est incontestablement le client préféré
de Léon : Cependant cet amour n'est pas exclusif. Il n'y a à peu près que Gwendoline, délicieuse
chienne berger belge (d'une non moins délicieuse maîtresse vendeuse de soutiens-gorge), pour le mettre
dans tous ses états : Léon avait eu sa période anarchiste dans le quartier, Front de libération canine avec le bâtard du Cercle bleu et Rex du Vizir, ils renversaient les poubelles de fer, haine de l'uniforme et escapade jusqu'aux abattoirs de la Villette, ils défendaient leur rue contre les domestiqués du Canigou. Mais maintenant Rex était mort, écrasé par un 4X4, Cercle bleu avait laissé place à Big Burger, et, lui Léon n'avait même plus un grognement contre les caniches et péki-chiwawas qui passaient dans les bras de leurs maîtresses à hauteur de devanture. Le pire avait été quand il avait senti et vu de ses yeux vu, un chat de gouttière coupé, un collier au cou venir se frotter à son coin de restaurant . Génération de tatoués. Il eut envie de vomir au pied du Poulpe, mais ça puait trop la sciure et le mégot, il chercha de la truffe le sucre interdit, en attendant une mort prochaine. Vlad passa la tête hors de la trappe de la cave, il découvrit le Poulpe à quatre pattes donnant un sucre à Léon. (31) Un épisode entier n'aurait pu se produire sans Léon en guest-star : Comme un coq en plâtre.
Si Gabriel n'avait pas glissé, comment Cheryl aurait-elle fait pour prendre sa quasi indépendance!
Et si Vlad n'avait pas été prise d'une furieuse envie de préparer du poulpe. Et si et si.
Et si ma tante en avait, nous savons, nous savons... Léon avait entendu. Il soupira. Les hommes ne connaissaient pas ce tourment où l'on n'a même plus de sympathie pour soi-même. Le Poulpe ne venait plus. Le Poulpe était mort et Léon en était la cause et lui seul le savait. Ses entrailles se resserrèrent un peu plus et il plia les oreilles. Une mouche s'était posée sur la truffe de Léon qui prit aussitôt le pari qu'elle
n'y resterait pas. Pas la peine de s'en occuper soi-même, après tout elle avait bien le droit à
une petite bronzette, elle aussi. Il sourit intérieurement en voyant s'inscrire dans son cerveau limité
l'image d'un insecte volant, lunettes de soleil et ailes pleines de crème, affalée dans un transat.
La mouche s'envola. Satisfait, il se laissa repartir dans la vacuité qui lui était habituelle mais
le bourdonnement de l'intruse l'irritait. Elle cherchait la bagarre ? Il redressa l'oreille droite où
la mouche s'était enfilée lui produisant un chatouillis extrêmement désagréable.
La porte du café s'ouvrit sur un curieux martèlement et cette odeur... Le coeur de Léon lui
remonta dans la bouche. Soulagement et crainte mêlés. L'affolement de son système nerveux l'empêcha
d'entendre l'exclamation ravie de Gérard : |