Mise à jour :
30 mars 2000
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> Quand deux adolescents
de la bonne société de Dieppe se suicident, menottés
aux rails, en se laissant écraser par un train, tout le monde est
horrifié.
Il n'y a que Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe, pour ne pas trouver ça "normal".
Alors, comme d'habitude, en dilettante, il va y voir de plus près. Et ce qu'il va trouver, le long des blanches falaises bordant la Manche, ce n'est pas vraiment la paix des familles...
Par Jean-Bernard Pouy
Adapté également en BD dans la collection "6 pieds sous
terrre" par Nikola Witko en mars 2000.
Le fait divers
Sur plus de cent mètres, ils ont repeint la voie, les deux petits jeunes... Et ils risquaient pas de se sauver ! Ils s'étaient attachés avec des menottes, les menottes attachées à des antivols, les antivols passés autour des rails. Et on a retrouvé, enfin on, les toubibs de l'autopsie, ils ont retrouvé les clés des cadenas et des menottes dans l'estomac du type et de la fille. Ça, c'est du suicide, c'est pas comme les pilules, où on se flingue en attendant l'ambulance... Quand on veut vraiment se bousiller, on met le paquet, honneur aux braves !
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Du côté de la critique...
Je ne sais pas si vous aimez les romans menés rondement, alors entrez dans la Baleine, vous ne serez pas déçu. Encore le rail, les rêves, les angoisses, les fantasmes du conducteur de train. Roméo et Juliette les mains attachées par des menottes au rail, trop tard, le train les réduit en bouillie.
Gabriel le cheminot, dit le Poulpe, mène l'enquête à son compte car il ne croit pas au suicide de Bérénice et Frédéric. Il se répète les deux vers de Bashô: "mes rêves errent / sur une plaine dénudée". Varengeville, une bourgeoisie noyée dans les brumes impressionnistes, des bourgeois sans scrupules, attention, L'aiguille creuse est un roman de Maurice Leblanc. Au passage nous reconnaissons Edgar Morin, Malebranche, une tonalité Richard Ford, des joggers aussi méchants que les joggers de Robert B. Parker, Cécile (l'amour qu'on lui porte ne tient qu'à un fil), l'intégrisme catho, la droite extrême. C'est un roman classique avec des moments sublimes, l'état de grâce s'installe entre Gabriel et Cécile, entre un enquêteur libertaire et un témoin, une patate nouvelle, une bonne année pour la belle de Fontenay. Plus les falaises sont blanches, plus l'intérieur des villas est noir.
A. Eibel, Jean-Bernard Pouy, Editions méréal, 1996. (collection mything). p.141.
Quand le Poulpe fictionne
La littérature, enfin de genre, donne parfois de bien mauvais exemples à la jeunesse. S'il n'avait pas tant lu de "SAS", Bob Denard en serait-il là où il est ? Face à l'inspiration néfaste pour la morale civique des aventures barbouzardes, de fins esprits ont décidé de relever, par la plume, le gant du mauvais goût. Philippe Sollers ne sera plus le seul à rigoler des "Antiquaire au Caire" et autres "Moche coup à Moscou" de la prose de villiéresque. En ouvrant ce livre au format poche, on découvrira ensuite l'acte de naissance d'un anti-super-héros ou d'un super-anti-héros. Au choix. Son nom de guerre ? Le Poulpe. "Le Poulpe. Tu parles d'une connerie. C'est gluant et visqueux", rétorquera à celui-ci une lycéenne rencontrée à Dieppe, cadre de "La petite écuyère....". "Ouais. Mais quand ça colle sur quelque chose, ça ne lâche pas", répond ce dernier, alias Gabriel. Voilà qui en remontre à Gérard de Villiers au chapitre virilité tranquille. Quoique ce premier épisode d'une saga que l'on espère la plus longue possible traîne ses guêtres aussi et surtout du côté des ouailles de l'autre, Philippe de.
Le fond de l'histoire est résumé, à sa manière, par le bistrotier adepte du pied de porc, chez qui ce justicier de l'ombre a ses habitudes. "Gabriel, il aime quand y'a du raisiné partout. Et là, il est gâté. Sur plus de cent mètres, ils ont repeint la voie, les deux petits jeunes... Et ils risquaient pas de se sauver! Ils s'étaient attachés avec des menottes, les menottes attachées à des antivols, les antivols passés autour des rails. Et on a retrouvé, enfin on, les toubibs de l'autopsie, ils ont retrouvé les clés des cadenas et des menottes dans l'estomac du type et de la fille. Ça c'est du suicide, c'est pas comme les pilules, où on se flingue en attendant l'ambulance. Quand on veut vraiment se bousiller, on met le paquet, honneur aux braves!" Buveur de bière impénitent - il sera difficile de lui faire déguster davantage de marques différentes que dans cette première aventure -, tireur émérite, révolté anonyme et anar, le Poulpe décide de lever le lièvre d'un assassinat déguisé en suicide. Cet argument nous entraîne dans les joies de la vie provinciale, dans la Normandie chère à Maupassant et Maurice Leblanc, au cur d'une noble bourgeoisie, tout ce qu'il y a de plus intégriste, anti-IVG et amie des fachos de tous pays. L'exotisme à nos portes, quoi.
La série, inaugurée par Jean-Bernard Pouy, entend jouer avec les clichés d'un genre pris en otage par une idéologie populiste plus que populaire. Les codes sont respectés, depuis les affreux jeux de mots des titres (serait-il bien raisonnable de ne pas vous laisser la joie de décrypter cette "petite écuyère a cafté" et autres "Saigne sur mer" ou "Arrêtez le carrelage" qui suivent ?) jusqu'à des répliques aussi immortelles que: "Tu vois le mal partout. T'as du Zola dans la tête. Du gorgonzola même." Et puis ce " Poulpe" n'est-il pas aussi un clin d'oeil appuyé à la littérature de gare d'outre-Atlantique, célébrée au cinéma par un Quentin Tarentino dans " Pu!p Fiction "? Voilà pour l'esprit.
A l'heure où les commandos anti-IVG se sont multipliés, où l'extrême droite parade dans plusieurs villes de France et où, journaliste satirique, Philippe Val peut se faire passer à tabac par quelques crânes rasés intégristes, pareil défi littéraire relève de la salubrité publique. La tâche étant rude, les temps moroses, la tribu polar a sauté tout de suite sur cette idée. Jusque dans le projet éditorial, où le risque est supporté par une toute petite maison d'édition, on croirait revenu le bon temps des années soixante-dix, quand quelques zozos gauchistes revitalisaient le polar français. Il est temps. Ni dieu ni maître, mort aux cons!
Michel Guilloux, L'Humanité, 13 octobre 1995.
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Impressions
"Un des meilleurs. Montre le bon exemple pour la suite. Le personnage est campé : ce ne sera pas Maigret..."
Florence, Paris 10ème
"Numéro un dans mon top cinq : ça c'est parce que c'est la genèse bien sûr et aussi parce que c'est Pouy bien sûr, et puis quelle pâtée il leur met aux intégristes !"
Vincent, Paris 20ème
"J'y ai retrouvé le fameux cocktail-obsession de "qui vous savez" : un train, la constellation taches-de-rousseur, un "mec-orphelin-quelque-part-qu'aime-pas-qu'on-les-lui-brise", la crème des lycées, des vers et des cons...on ne s'en lasse pas depuis "La belle de fontenay"...et puis des associations décapantes, ici : Twingo/beretta, CNRS/M16, Haïku/polikarpov, Pizza/Tonino, Phoque/Rhododendron....
Goûter, c'est approuver !"
Marie-Claude, Paris 12ème
"Quelques utilisations pas très catholiques des antivols de vélos."
Laure, Yerres |