Voila l'été


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Décryptage du réel

Introduction

Chapître 1

Chapître 2

Chapître 3

Conclusion

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Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
1er juin 1999


II-1
Le Poulpe enquêteur libertaire

Le Poulpe
une tentative de décryptage du réel

Chapître 2 :
Ethiques et engagements

La collection du Poulpe n'est pas une quelconque série fictionnelle. Elle est, bien au contraire, en prise directe avec la réalité. Par là, cet engagement de plein pied fournit une tonalité particulière à ces ouvrages, dont il convient de préciser à la fois le degré, la méthode, et le sens. Gabriel Lecouvreur est bien représentatif de la teneur de ces ouvrages, puisqu'il détermine, en sa qualité de protagoniste principal, la teinte politique de la série. Aussi, son idéologie détermine-t-elle toute son existence, et sa manière d'appréhender la vie, et bien sûr les enquêtes. Par ailleurs, il convient, pour saisir pleinement le message délivré par ce type d'ouvrage, d'évaluer le désir d'engagement des auteurs, qui, débutants ou vieux habitués du polar, partagent tous la prise de position effectuée dans la série. Cette volonté commune participe, on va le voir, d'un engagement qui puise sa source dans l'actualité immédiate autant que dans les leçons de l'Histoire ; les deux ne sont-ils d'ailleurs pas intimement liés ?

Un témoin

Pour saisir ce qui fait de cette série une ouvre politique, il faut s'interroger sur les intrigues, et la manière de les résoudre, c'est-à-dire qu'il nous faut comprendre les motivations du personnage principal, ce qui va provoquer l'action chez Le Poulpe. Il faut pour cela cerner ce qui constitue chez lui un idéal, donc une lutte : l'anarchisme.

Dès le début, avant même de commencer l'ouvrage, la présentation succincte au dos de chaque volume donne le ton, en définissant Le Poulpe comme un «enquêteur un peu plus libertaire que les autres»(48). A partir de là, les preuves de l'attachement de Gabriel aux pratiques et théories anarchistes vont se succéder. Du A cerclé, symbole de l'anarchie, qu'il arbore sur le bras, aux citations des divers théoriciens de ce courant idéologique (parmi lesquels on trouve Bakounine, Stirner, Kropotkine, Durutti et tant d'autres), les rapports sont étroits, nombreux et flagrants. Il peut sembler étonnant d'associer ces théories aux enquêtes du détective privé. Il faut bien préciser que Gabriel est bien loin de l'image traditionnelle du privé, entouré d'alcool, de cadavres et de jolies et redoutables compagnes. Certes, cette description est on ne peut plus caricaturale, mais elle a la mérite de montrer toute la distance entre l'idée qu'on se fait de l'enquêteur dans les romans policiers, et la vie du Poulpe. Etant plutôt défini comme un «témoin»(49), Le Poulpe n'est, à l'image des anarchistes, régi par aucun diktat.


Un modus operandi bien particulier

Il faut bien comprendre la façon d'agir de Gabriel, son modus-operandi. Les enquêtes de la police ont ceci de différent qu'elles ne sont pas mises en branle par l'intérêt, mais par la nécessité. Si la loi est bafouée, une enquête est ouverte, et l'inspecteur en charge du dossier fait son travail ; Gabriel n'a pas de quota à remplir, pas plus que de loi autre que sa propre éthique. Il agit par instinct, par réaction. La mise en acte, en somme le processus d'engagement se décompose en trois phases bien distinctes. Tout d'abord, l'individu est mis en relation avec le fait, il apprend, il subit une émotion sociale. Aussi, toute production écrite, orale, sous les formes les plus diverses vont provoquer l'apprentissage d'un fait social. Dans la série, la lecture des quotidiens et les discussions avec Gérard sont le point de départ des enquêtes. C'est à ce moment précis, en général, que Le Poulpe se documente et apprend. La deuxième phase est celle de la réflexion, invariablement produite par l'émotion suscitée. L'individu ayant reçu l'information la dissèque, et la soumet à ses propres valeurs. S'opère alors un combat, sous la forme de la tension entre le fait social et l'éthique propre à l'individu. Cette lutte est parfaitement décrite dans les méditations de Gabriel, qui n'écoute plus ce qui l'entoure, mais selon l'expression consacrée, ce que lui guide sa conscience. Enfin, la troisième phase, la plus visible, est celle de l'action ; elle correspond à l'engagement, la prise de position. En effet, si l'émotion suscitée par le fait social est assez forte, elle provoque la réaction dans le réel, en vue de transformer la situation en place. C'est ce qui arrive dans chaque épisode de la collection, puisque chaque aventure de Gabriel correspond à la mise en pratique de son éthique, système de valeurs constamment remis en question par les événements de la vie. L'intérêt est d'observer le lien créé entre l'émotion sociale et la réaction, c'est-à-dire le tiraillement entre le réel et l'idéal, entre la laideur de certains actes et la beauté de certaines idées.
Le Poulpe représente en somme le passage à l'acte, la réaction, puisque chacune de ses aventures correspond à un engagement. Il ne faut pas espérer trouver de morale dans ces ouvrages, mais sa morale. C'est l'instinct qui guide Gabriel, bien loin des contingences et des desiderata des lois en place. Sa façon de procéder n'est même pas particulière, elle est personnelle, puisqu'émanant de son propre cheminement mental. Il en va de même pour le choix des ennemis à combattre, qui répondent, insupportent, bafouent son système de valeurs.


Les cibles

Les cibles visées, si elles sont nombreuses, se distinguent surtout par l'acharnement qu'elles suscitent, et par l'attachement quasi militant à les détruire.
Pour Jean-Bernard Pouy, «le bon ennemi, le seul»(50), c'est l'extrême-droite. C'est pour cette raison, que dans de nombreux épisodes, Le Poulpe va être confronté aux tenants de l'idéologie fasciste, des plus groupusculaires (PNFE, groupes de skinheads,...) aux plus connus (Front National). Dès le premier opus de la série, Gabriel va en découdre avec des catholiques intégristes, dans une affaire où, pour l'anecdote, il va rencontrer des membres du SCALP, la Section Carrément Anti Le Pen, un mouvement antifasciste d'extrême-gauche existant en France, dont le ton du discours est loin d'être consensuel avec les tenants de l'ordre moral. De la sorte, la teinte est trouvée, et tout au long des aventures du Poulpe, l'antifascisme radical sera de mise. Ainsi va-t-il savoir calmer, à l'aide de «deux cocktails Molotov exactement dosés»(51) les ardeurs de skinheads, comme le narre Daeninckx dans Nazis dans le métro. Dans le même ordre d'idée, Gabriel, qui n'a «jamais reculé devant les gardiens borgnes de l'ordre moral»(52), sait utiliser la «batte de base-ball»(53) pour anéantir les membres de la «droite chrétienne la plus intolérante et fasciste»(54). On le perçoit clairement, le ton et les méthodes sont radicales. Le Poulpe, et à travers lui, les auteurs, ne cherchent pas à s'embarrasser de la prétendue légitimité de telle ou telle formation fascisante. Le but est clairement établi : «participer au front anti-Front»(55) faire le plus de mal possible à l'extrême-droite, avec bien sur en ligne de mire le Front National. S'il est vrai que Gabriel en découd souvent avec les groupuscules racistes, dont certains sont des copies presque conformes de groupes existants, il est vrai aussi que Le Poulpe s'est déjà trouvé face au FN, au travers d'évocations sans concession avec le parti d'extrême-droite.

De la simple allusion «comique» où l'auteur joue avec les mots et fait montre de cynisme, à l'image de Jean-Christophe Pinpin qui, pour montrer la folie d'une idée, lui trouve autant de crédibilité «qu'un basané pénétrant dans un meeting du Front National»(56), à l'attaque frontale, tous les moyens sont bons contre le parti d'extrême-droite. Loin des discours apaisants, conciliateurs et consensuels, Gabriel préfère agir et s'en prendre physiquement aux fascistes, retrouvant par là-même son esprit libertaire et radical.

De même, Le Poulpe s'en prend au capitalisme, et à ses errements les plus visibles et les plus nocifs. Evidemment, il n'y a rien de surprenant à ce qu'un anarchiste combatte l'économie de marché, mais les attaques sont si brusques et si fréquentes qu'elles méritent l'attention. Ainsi, dans Arrêtez le carrelage de Patrick Raynal, Gabriel prend fait et cause pour un groupe autonome refusant, à grands renforts de voitures incendiées et de billes de plomb les affaires clandestines des promoteurs immobiliers véreux. Là encore, la violence règle les différends, et, pour préserver la Nature et l'authenticité du site, la contestation ne se cantonne pas à l'incartade verbale. Dans le même ordre d'idée, Gabriel est confronté à un «déchargement clandestin»(57) de «substances dangereuses»(58), sur la côte Basque. Son combat sera de défaire ceux qui tirent les ficelles, ceux qui commanditent de telles opérations. Il démantèlera un réseau de recyclage de produits pharmaceutiques. Gabriel n'agit pas au nom de concepts écologiques surannés, mais plutôt au nom de droits inaliénables, pour les humains comme pour l'environnement, droits qui sont invariablement bafoués pour le profit de quelques uns. Bunker menteur, d'Olivier Douyère, est bien révélateur de ce genre de procédés où les grandes firmes procèdent à toutes les malversations possibles et imaginables, tout en entraînant des situations catastrophiques pour les populations. Les colères du Poulpe sont d'autant plus terribles que les instigateurs de ces actes sont la plupart du temps au courant de ce qu'il font, et pratiquent le mépris comme seule forme de pardon.
On pourrait aussi citer la haine des sectes, qui est récurrente dans l'esprit du Poulpe, d'autant plus que leurs dirigeants sont souvent des rescapés de d'extrême-droite, et des gens sans scrupules plus attirés par l'appât du gain que par la Rédemption par la foi. Ce qu'il faut avant tout comprendre, pour cerner le type de cibles auxquelles s'attaque Le Poulpe, c'est que toutes sont considérées comme l'opposé des théories libertaires. Les pollueurs, les fascistes, les capitalistes, sont les ennemis naturels des anarchistes. Tout au long de l'histoire, récente mais déjà développée du mouvement anarchiste, ces derniers se sont employés à combattre ce qui, pour eux, correspondait le plus à la figure du mal. Il est donc normal que Gabriel choisisse de se mesurer à des ennemis de si longue date. Il faut aussi signaler que les cibles en question ne sont pas attaquées avec autant d'ardeur dans les média. Il fallait donc bien que Le Poulpe attire l'attention sur l'inacceptable.

La suite...



(48)-Jean-Bernard Pouy. Cahier des charges.
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(49)-Jean-Bernard Pouy. Cahier des charges.
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(50)-Jean-Bernard Pouy. Entretien trouvé sur Internet (1997).
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(51)-Didier Daenincks. Nazis dans le métro. Ed. Baleine (1996), p.36.
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(52)-Franck Pavloff. Un trou dans la zone. Ed. Baleine (1996), p.81.
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(53)-Franck Pavloff. Un trou dans la zone. Ed. Baleine (1996), p.85.
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(54)-Franck Pavloff. Un trou dans la zone. Ed. Baleine (1996), p.86.
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(55)-Jean-Bernard Pouy. Entretien paru dans le Nouvel Observateur (19/22 janv. 1997).
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(56)-Jean-Christophe Pinpin. Les gens bons bâillonnés. Ed. Baleine (1996), p.49.
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(57)-Jean-Christophe Pinpin. Les gens bons bâillonnés. Ed. Baleine (1996), p.129.
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(58)-id.
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