Voila l'été


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Décryptage du réel

Introduction

Chapître 1

Chapître 2

Chapître 3

Conclusion

Biblio

Suivez le guide...


















































Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
1er juin 1999


I-1
L'idée de Jean-Bernard Pouy

Le Poulpe
une tentative de décryptage du réel

Chapître 1 :
Le Poulpe : un projet à long terme

Avant de se pencher sur le sens, l'objectif ou la teneur des ouvrages de la collection, il convient logiquement de mettre en relief ce qui à l'origine n'était qu'un projet un peu fou, dont l'existence même est un défi : Le Poulpe. Il faut donc, pour cerner le personnage central des aventures, à savoir Gabriel Lecouvreur, connaître les données qui ont présidé à sa création , c'est-à-dire étudier de plus près l'idée dont il est issu. Si, sans doute aucun on peut affirmer que Le Poulpe est le héros de ces textes (il suffit de regarder leurs titres), il est beaucoup moins facile de se prononcer sur le statut des personnages secondaires. Leur rôle s'avère être, on va le voir, bien plus important qu'on ne le croit, en empruntant des formes très variées, très surprenantes. Mais avant toutes choses, on se doit de mieux comprendre l'idée de Jean-Bernard Pouy.

La trame

Quand on le questionne sur les origines du Poulpe, Jean-Bernard Pouy concède volontiers qu'il est né d'une «conversation de bistrot qui a mal tourné»(6). Ce projet faillit pourtant bien rester au stade embryonnaire, tant elle déconcerta les éditeurs traditionnels. Ainsi, les diffuseurs du Seuil et de Gallimard refusèrent-ils d'emblée de se lancer dans une aventure aussi risquée. Antoine de Kervauson, qui, à l'époque vient juste de créer les Editions Baleine, accepte le pari fou de Pouy, partant du principe que «Le Poulpe manquait dans l'univers du polar»(7).


La volonté de Pouy est simple : il s'agit de lancer une collection de polars, dont le personnage serait récurrent, mais traité par un auteur différent à chaque fois. De la sorte, on pourra «éviter trop de redites»(8), tout en étoffant le caractère du personnage. C'est peut-être cette idée qui est à l'origine du succès de la collection ; en effet, nombreux sont les ouvrages où le personnage récurrent, autant dire le héros, n'est traité que par un seul auteur (d'ailleurs, il s'agit souvent du créateur même de la série). Ainsi, Hercule Poirot est-il immanquablement associé à son créateur, et auteur de ses aventures, Agatha Christie. Dans ce cas présent, Gabriel Lecouvreur, même s'il est la création de Jean-Bernard Pouy, n'appartient à personne, ou plutôt, appartient à celui qui veut bien s'en servir, lui donner une vie littéraire. Se pose donc le problème des contraintes. En effet, si la trame est claire (un personnage antifasciste, libertaire, agissant pour son propre compte dans des luttes éminemment politiques), les contraintes, les lois sont aussi un enjeu de taille. C'est pour cette raison, et pour garantir une cohésion et une véracité à son personnage que Pouy a édité, avec l'aide de Serge Quadruppani et de Patrick Raynal, pour les futurs auteurs de la collection, un cahier des charges, véritable «Bible». Y sont consignés les quelques points à respecter dans l'écriture d'un épisode. Hormis le fait, bien évidemment, que Le Poulpe ne doive pas mourir, des contraintes assez précises sont stipulées. Par exemple, le premier chapitre ne doit pas être centré sur Gabriel, mais doit constituer une début d'intrigue. De même, il doit, à la fin, être question du Polikarpov, l'avion utilisé pendant la guerre d'Espagne, que Le Poulpe tente, tant bien que mal de réparer entre chaque aventure. Nous verrons aussi que les cibles du Poulpe sont souvent les mêmes (les attaques contre les fascistes sont régulières et acharnées). En procédant ainsi, c'est-à-dire en posant des principes stricts, lois qu'on ne doit pas enfreindre, Jean-Bernard Pouy fournit deux hypothèses de travail : soit on se cantonne aux volontés du créateur, qui ne fait que confier son personnage au narrateur d'une fiction, soit on s'approprie Le Poulpe, en choisissant de modeler le personnage à son propre style, mais aussi à sa propre vision du monde.


Les contraintes

D'ailleurs, nul besoin d'aller à l'encontre des règles établies par Pouy ; il suffit, et c'est le cas par exemple dans Ouarzazate et mourir, d'Hervé Prudhon, d'éclairer certains pans de la personnalité du héros, ou d'en passer d'autres sous silence. Le Poulpe est présenté, dans la quasi majorité des épisodes, comme un personnage volontaire et, sinon optimiste, tout au moins plein d'allant. Il paraît donc surprenant, dans Ouarzazate et mourir de le trouver dépressif et suicidaire. Pourtant, il faut bien se rendre à l'évidence que la personnalité d'un personnage de séries est en perpétuelle évolution, et s'étoffe au fur et à mesure des contributions dont elle est l'objet. Les contraintes «imposées» par Pouy sont donc plus un point de départ, un passage nécessaire à la prise en charge du personnage, que des lois rigides empêchant le développement de la fiction. C'est plutôt le point commun, l'élément fédérateur de tous ces épisodes. En effet, les thèmes choisis, le style de chaque romancier, la mise en valeur de tel ou tel personnage, tous ces points tendent à rendre chaque épisode autonome, et il est fort probable que sans les quelques obligations de Pouy les différents volumes n'auraient pas acquis de cohésion. Il est clair que le cahier des charges n'est pas privatif ou contraignant ; bien au contraire, il permet de fédérer la somme des productions, tout en pointant du doigt leur unicité. Toute la difficulté, et donc tout l'intérêt de cette bible va être, pour l'auteur, de créer une fiction originale, tout en se conformant aux volontés de Pouy. Il s'agit de trouver un ton personnel, sans s'éloigner de ce que le directeur de collection, et par la même le lecteur attendent. Ces contraintes sont donc un formidable vecteur de création et d'originalité.

Un univers à géométrie variable

Il est normal, dans ces conditions, que l'univers du Poulpe ne soit pas figé. Aussi, si dans les premiers épisodes de la série, à l'instar de La petite écuyère a cafté, l'action se déroule-t-elle en France, il paraît évident que la série va vite s'internationaliser. A cela, deux raisons ; la première est assez simple à deviner : si l'on reste tout le temps dans la même zone géographique, on risque de se répéter, de reprendre ce qu'un autre a écrit dans un précédent opus, et pire, de lasser le lecteur. La deuxième raison est beaucoup plus politique : les axes de lutte, les thèmes abordés par les écrivains, s'ils trouvent souvent leur origine en France, peuvent avoir des liens ou des conséquences à l'étranger. C'est le cas dans Bunker menteur d'Olivier Douyère, où Le Poulpe se trouve confronté à une terrible affaire de pollution, qui, si elle trouve ses racines en France, a des ramifications jusqu'en Albanie, lieu de stockage, poubelle des pollueurs européens. Situer l'action dans des pays étrangers a donc le double intérêt de dépayser le lecteur et d'éclairer les enjeux politiques d'un point de vue beaucoup plus large. Il ne faut pas non plus croire que toutes les aventures du Poulpe vont se dérouler à l'étranger, ce qui donnerait l'image (fausse) d'un baroudeur international.

Le cocktail est, jusqu'à présent, bien dosé entre aventures dans les provinces françaises et missions à l'extérieur. Le seul îlot où Gabriel Lecouvreur demeure est constitué par le salon de coiffure de Cheryl, sa compagne, le Pied de Porc à la Sainte-Scolasse, le café où débutent toutes les aventures, et quelques lieux secondaires (comme la demeure de Pédro, anarchiste catalan et ami de la famille) que nous développerons plus loin. La liberté est donc complète pour les auteurs du Poulpe. Ils peuvent situer le lieu de l'intrigue où bon leur semble. Si l'intérêt pour telle ou telle région peut être un facteur de choix, d'autres éléments rentrent en ligne de compte. Certains thèmes abordés trouvent une illustration directe dans l'actualité hexagonale. On la situe donc géographiquement. A titre d'exemple, c'est peut-être parce que les sectes pullulent dans le Sud de la France que Bertrand Delcour a choisi de situer l'action de Les sectes mercenaires dans un petit village de l'Aude. Des affaires du même type ayant défrayé la chronique dans le passé, on ne peut pas douter de la véracité du sujet. La région confère un certain sérieux à la fiction.

Le canevas mis en place par Pouy est, on l'a vu, a la fois original et garant de liberté. L'idée de base, sa trame trouve un écho dans le cahier des charges. Aussi, les contraintes formulées par Jean-Bernard Pouy dans cette bible permettent-elles de connaître l'identité immuable du Poulpe, ce qui correspondrait à l'inné chez un être vivant, et d'y apporter des expériences, l'acquis, sous la forme d'aventures. Les auteurs de la série peuvent donc faire évoluer leur personnage dans un univers qui se transforme à chaque contribution. On a l'impression d'un monde où rien n'est figé, mais où rien n'est pourtant laissé au hasard.

La suite...




(6)-Jean-Bernard Pouy. Entretien paru dans le Nouvel Observateur (16/22 janv.97).

(7)-Antoine de Kervauson Entretien paru dans le Nouvel Observateur (16/22 janv.97).

(8)-Jean-Jacques Reboux. Entretien paru dans Le Nouveau Campus (déc.96).