Voila l'été


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Décryptage du réel

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Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
1er juin 1999


Introduction

Le Poulpe
une tentative de décryptage du réel

Introduction

Dans la multitude des productions littéraires contemporaines, on peut déceler divers groupes, subdivisions ou genres à part entière qui répondent à des contraintes bien particulières, autant qu'aux volontés des auteurs, et qu'aux attentes du public. Ainsi, le roman, le théâtre ou la poésie sont les genres les plus connus dans le domaine de la production écrite. Régies par des lois rigoureuses, et donc entrant dans un moule plus ou moins conforme aux desiderata de la culture officielle, ces oeuvres sont facilement reconnaissables, identifiables. Si leurs codes, leurs règles sont généralement assez bien définis, il n'en est pas de même pour toute une frange marginale, car difficile à classer, de la littérature, que certains vont appeler par réaction la paralittérature.

Ce terme regroupe tous les genres qui ne se retrouvent pas, ou qui ont été écartés de ce qu'il est convenu de nommer les « belles lettres ». La différenciation est fondée sur une opposition; d'un côté, on trouve la littérature officielle, appréciée de tous, enseignée, et définitivement considérée comme « majeure »; de l'autre, se forme tant bien que mal un assemblage plus ou moins heureux d'oeuvres d'importance « mineure », dont, à-priori, le seul point commun réside dans le peu d'intérêt que les instances littéraires daignent leur accorder. Tout se passe comme si un système de valeurs, érigé en norme délimitait un fossé infranchissable entre des oeuvres appelées à durer, à trouver une place dans les bibliothèques, et des textes sans intérêt, de consommation courante, et dont le caractère éphémère interdirait la qualité. Tous les ouvrages répondant à cette vague définition, dont le point d'orgue et le mépris qu'ils suscitent, vont être sommairement rassemblés , et c'est ainsi que vont se côtoyer des genres aussi divers que le roman rose, la science-fiction ou encore le roman policier.

A l'origine, et dans le but de regrouper toutes ces oeuvres inclassables, on employait le terme de littérature populaire. Très vite, cette notion a posé problème. En effet, populaire a de nombreux sens, et peut donc montrer l'origine du texte, mais aussi sa destination: ce peut être une oeuvre qui émane du Peuple, ou qui lui est destiné; à ces questions s'ajoute la nécessité de savoir ce que l'on désigne par le mot Peuple, où il commence et où il s'arrête. Ce terme, si sujet à controverses, a, petit à petit été abandonné, au profit d'une foule d'appellations, parmi lesquelles contre-littérature, autre-littérature, voire même sous-littérature. Queneau, quant à lui préférait parler de littérature connexe, ce qui introduit immanquablement l'idée de textes centraux, autour desquels gravitent des oeuvres périphériques, donc de moindre importance. Ces notions, éminemment péjoratives, témoignent bien du peu de considération accordée à ce type d'ouvrages. Enfin, dans les dix dernières années est-on arrivé à la notion de paralittérature.

Apparu en Europe à la fin des années quatre-vingts, suite au colloque Entretiens sur la paralittérature, on retrouve le terme, dès mille neuf cent quatre-vingt-six, dans le dictionnaire Larousse, et dans une foule de revues, fanzines, etc. Aujourd'hui, la notion de paralittérature est en passe d'être acceptée. L'intérêt de ce terme est qu'il prend en compte, en jouant sur la polysémie du préfixe para (la proximité, mais aussi l'opposition), la différence de certaines oeuvres par rapport à d'autres. Nous utiliserons donc cette acception pour désigner l'un des piliers de la paralittérature : le polar.

Aujourd'hui âgé de plus de cent cinquante ans, il trouve ses origines dans les fictions romanesques du dix-neuvième siècle, dont les auteurs, parmi lesquels Eugène Sue, Alexandre Dumas, s'appliquaient à dépeindre les affres de la vie urbaine, et les balbutiements, souvent chaotiques d'une société en transformation. Au vingtième siècle, Gaston Leroux, avec Rouletabille, va créer un personnage récurrent, qui, s'il n'est pas policier, est souvent placé en concurrence avec la maréchaussée, lente et bornée. Quant à Arsène Lupin, de Maurice Leblanc, il symbolise le héros populaire, en volant les riches bourgeois et les institutions, au profit des plus démunis. Les variantes, les transgressions, vont se succéder, et l'on va assister, au fil des années, à une extrême multiplication des genres. Certains connaîtront le succès, à l'instar du roman noir, où le personnage du détective privé est au centre de l'intrigue, la pièce mobile de l'enquête, et où il agit au moins autant qu'il réfléchit. Pour se cantonner aux productions françaises, on peut citer l'exemple du célèbre Nestor Burma de Léo Malet. Pour aller à l'inverse de cette technique narrative, et donc de l'idée même de héros « free-lance », de nombreux auteurs, dès les années trente, ont préféré confier les enquêtes à des agents de la force publique et autres inspecteurs. Simenon va donc imaginer le commissaire Maigret, dont les méthodes d'investigation autant que les aspects extérieurs feront la célébrité. Disposant d'une grande profondeur psychologique et d'un univers très riche, ce personnage restera une des figures emblématiques du roman policier. Plus récemment, l'écrivain Jean-Patrick Manchette a su donner un ton inédit au polar, en opérant une distanciation parodique par rapport aux modèles préexistants, et en privilégiant dans ses écrits la dimension ironique et politique. Evidemment, il paraît impossible de clore ce rapide tour d'horizon des littératures policières sans évoquer la fameuse « Série Noire ». Forte de quelque deux mille cinq cents titres, cette collection a su, au fil des années, fidéliser tout un lectorat. Comptant dans ses rangs les signatures les plus prestigieuses, françaises et étrangères, elle est pour beaucoup dans l'engouement suscité, depuis quelques années déjà, pour le roman noir. A la fois présente dans les gares et dans les librairies spécialisées, cette collection a l'immense privilège d'arriver à réunir les lecteurs les plus divers, du simple amateur de polars au passionné. Les exemples pourraient se succéder, on arriverait paradoxalement plus à se perdre qu'à cerner l'identité réelle de la littérature policière. C'est sans doute parce que les genres en présence, même s'ils renvoient à toute une somme d'écrits, n'en demeurent pas moins une catégorie bien particulière, possédant une identité propre. Dans ce cas, l'idée de sous-genre paraît importante; n'étant en rien une notion à connotation péjorative, elle revendique le principe d'autonomie, mais pas celui de fracture. C'est dans ce cadre que va naître Le Poulpe.

L'idée de Jean-Bernard Pouy, auteur de nombreux titres, dont la plupart ont été publiés dans la collection « Série Noire », et bénéficiant d'une solide réputation dans le microcosme du polar, se cristallise autour d'un « projet tentaculaire de collection de polar agit-prop » (1). L'intérêt majeur de ces ouvrages, dont le nombre de volumes, parus aux Editions Baleine avoisine les soixante, est qu'ils sont écrits par un auteur différent à chaque fois. Le personnage récurrent se fait appeler Le Poulpe, Gabriel Lecouvreur de son vrai nom, et ne ressemble que très peu aux héros souvent stéréotypés du polar. Décrit comme « curieux »(2) et « contemporain »(3), il est surtout « un peu plus libertaire »(4) que les enquêteurs traditionnels. Les aventures, comme autant de réflexions sur « la maladie de notre monde »(5) témoignent d'une acuité politique évidente.
La témérité et l'originalité de ce projet somme toute assez récent, puisqu'il date de deux ans à peine nous amènent à nous intéresser de plus près à cette collection si peu banale.


Dans un premier temps, il paraît nécessaire de se pencher sur l'idée de Jean-Bernard Pouy, c'est à dire tout ce qui, de près ou de loin, participe à l'élaboration de l'intrigue. Le projet de Pouy, s'il passe nécessairement par une trame solide, connaît par là-même des contraintes tout aussi sérieuses. On va donc assister, au fil des ouvrages, et selon les volontés ou les oublis des auteurs, à des recentrages ou des prises de distance vis-à-vis des règles édictées par Pouy. De même, le personnage principal, à savoir Le Poulpe, va connaître des évolutions autant physiques que comportementales, tout en gardant une histoire personnelle et un mode de vie inchangés. En somme, il va vivre et s'étoffer au fur et à mesure des volumes. C'est aussi le cas des personnages dits secondaires, qui rythment les enquêtes de leurs apparitions et de leurs contributions. Certains, comme son amie Cheryl ont un statut particulier et ô combien important, et, d'une manière générale, tous les personnages récurrents sont dotés de rôles qui n'ont rien de figuratif. De la même façon, les lieux, plus que simple décor, créent une ambiance particulière. Pleine de charme et de nostalgie, l'évocation des quartiers populaires de Paris où vit Gabriel témoigne de l'affection des écrivains du Poulpe pour ces lieux, et façonne, anime autant qu'elles pérennisent un véritable style de vie.

Ensuite, il s'agit de prendre en compte toute le teneur politique que recèle la collection. Evidemment, le héros, présenté comme libertaire, en est la représentation la plus flagrante. Que ce soient les manières utilisées, ou les cibles visées, il faut bien reconnaître que Le Poulpe est un personnage engagé. Sa lutte constante et radicale contre l'extrême-droite, tout comme son dégoût de la société capitaliste en font la caisse de résonance d'opinions et de théories que le public n'a que rarement la possibilité d'entendre. Cette teinte politique émane du choix délibéré des auteurs, afin de faire de leurs textes un ouvrage à la fois ancré dans un schéma narratif fictif et dans un contexte social bien réel. Engagés, les écrivains que l'on retrouve dans la collection vont puiser dans une somme de faits divers, du plus banal au plus tragique, mais aussi dans ce qu'on appelle les faits de société. Apportant une vision souvent plus sombre, mais tellement plus honnête des événements, ils vont pouvoir se servir du Poulpe pour engager la réflexion. On y trouve donc des dénonciations qui sont autant de brûlots, de déclarations d'hostilité envers, par exemple les partis fascistes. Chaque volume contient des prises de position qui servent autant à dénoncer qu'à démasquer. A l'heure où le mensonge d'Etat tient lieu d'information, cette collection permet de faire circuler des idées nettes de tout contrôle, en somme, d'établir vis-à-vis des pouvoirs une sorte de zone franche.

Enfin, un point décisif de l'étude est composé de l'analyse des genres en présence. En effet, si de prime abord il semble aisé de comparer la collection du Poulpe à une série de romans policiers, on se rend vite compte qu'elle est bien plus que ça. Bien évidemment, les correspondances avec le polar sont nombreuses. Les thèmes chers à la littérature policière sont souvent utilisés par les auteurs du Poulpe; nombreuses sont les aventures, péripéties avant de dénouer le cour de l'intrigue. Le simple fait, postulat du polar, que la situation soit conflictuelle apporte son lot de sensations fortes. D'un point de vue plus pragmatique, le vocabulaire employé est celui de la rue, comme dans tous les romans noirs, dont l'action se situe souvent dans les basses classes de la société. Et même si, là encore, comme dans les traditionnelles séries policières, les ouvrages du Poulpe forment une collection, on peut aussi déceler certaines discordances, qui en font une oeuvre originale. La plus évidente est forcément la succession des contributions. Aucun écrivain n'a le droit d'écrire deux volumes, ce qui favorise le nombre des participants, et qui permet de multiplier les angles d'approche. Originaux, les points de vue et les opinions du héros, constituent un pôle radicalement opposé à celui des séries, qui, sont souvent teintées d'impérialisme et d'imagerie américaine, à l'instar des S.A.S. De même, on peut s'interroger sur l'appartenance ou pas au genre populaire d'une collection qui, au début tout au moins était lue par des étudiants et des universitaires. Hors de toutes ces considérations, il apparaît que ces ouvrages servent, ont un objectif autre que simplement divertir. Les aventures vécues par Le Poulpe sont tellement plus proches du lecteur, en termes géographiques et affectifs, qu'il est difficile de ne pas se rapprocher du héros. Comme à l'époque des romans-feuilletons, le fait même de le voir revenir à chaque parution d'un nouveau volume habitue le lecteur à sa présence, à son existence fictive. Aussi, ses fréquentes croisades contre les injustices sont-elles autant d'exutoires contre la morosité ambiante. Sans aller jusqu'à parler d'identification, il faut bien avouer que Lecouvreur est le garant d'une certaine forme de liberté, fut-elle fictive ; on en arrive donc parfois à croire, et à se réjouir des exactions du Poulpe comme si elles avaient une quelconque incidence sur nos vies. D'ailleurs, toute la question est là : ces ouvrages ne sont-ils uniquement des réceptacles au mécontentement général, ou constituent-ils, plus subtilement, une arme réelle de résistance ? Avant de prendre part, il faut connaître et être informé, ce à quoi semble concourir la collection. Décrypter le réel, comprendre à travers les lignes, c'est peut-être là le véritable sens de ces oeuvres.

Si beaucoup de points doivent être éclaircis, plus nombreuses encore sont les questions à élucider. Autant la lecture d'un volume du Poulpe est simple, tant son contenu est ancré dans nos vies, autant la tentative de mettre en évidence et d'analyser les soubassements secrets qui lient les oeuvres, les auteurs et leur public paraît être une tâche ardue. Il s'agit donc de reprendre tous les points exposés ci-dessus, et de tenter d'en déterminer la pertinence. En effet, avant de pouvoir espérer mettre à jour l'ossature de la collection, son essence même, en somme, ce qui en fait une ouvre littéralement particulière, il faut obligatoirement passer au crible les éléments, les indices que leurs créateurs nous donnent à voir. Gageons que les piliers, les fondations de ces ouvrages apporteront des clés sur la nature et le but de cette production si originale et pourtant si familière.

La suite...

(1)-Jean-Bernard Pouy. Entretien paru dans le Nouvel Observateur (16/22 janv.97).
(2)-Jean-Bernard Pouy. Cahier des charges.

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