Voila l'été


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Décryptage du réel

Introduction

Chapître 1

Chapître 2

Chapître 3

Conclusion

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Suivez le guide...


















































Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
1er juin 1999


I-3
Les personnages "secondaires"

Le Poulpe
une tentative de décryptage du réel

Chapître 1 :
Le Poulpe : un projet à long terme

Les personnages qu'on appelle, souvent à tort, personnages secondaires, sont assez nombreux dans la collection du Poulpe. Pourtant, ils sont tous, on va le voir, nantis d'une importante épaisseur psychologique, garante de la durée de vie de la collection. Simple connaissance ou relation proche, tous contribuent à tisser un monde cohérent et complet.


Cheryl, le repos du guerrier ?


Le personnage le plus proche de Gabriel, et pour cause, est sans nul doute sa compagne Cheryl. Apparue dès le premier épisode de la série, elle constitue le point d'attache du Poulpe. Conçue pour contrer «les potiches de la haute»(16), le destin de cette coiffeuse de la rue Popincourt est lié à celui du Poulpe depuis leur enfance, alors qu'ils fréquentaient tous deux «la cour de récréation de l'école Saint-Bernard»(17). Beaucoup d'éléments tendent à caractériser Cheryl. Elle possède, au dessus de son salon de coiffure, rue Popincourt , un «trois-pièces élégant, avec surtout une chambre «à l'américaine»»(18) et affectionne particulièrement les kangourous et les photos de Marylin Monroe, dont elle possède la même couleur de cheveux. Nantie d'un certain franc-parler qui la rend invariablement de bon conseil, elle n'a rien d'une potiche qui attend son aventurier en tremblant, même si Roger Dadoun prête au Poulpe de sombres pensées, où il craint que Cheryl ne représente en définitive que «le repos du guerrier qui [...] attend le bon vouloir d'un mec qui va rouler ses mécaniques ailleurs»(19). Il serait extrêmement dommage qu'une série comme celle-là, diffusant des idées pour le moins libertaires, abrite le sexisme. C'est pour cette raison que dernièrement est apparue une collection non pas annexe, mais indépendante, ayant Cheryl pour personnage principal. Le but avoué d'une telle série est de sortir les femmes du carcan dans lequel elles sont la plupart du temps plongées. Cheryl représente la femme libre et libérée (il suffit de lire la description de ses ébats avec Gabriel). Fidèle en amour, elle peut avoir des aventures, tout comme Le Poulpe. Cette autonomie sexuelle, qui n'a rien d 'étonnant chez un personnage mâle peut paraître plus surprenante chez une femme, ce qui prouve d'ailleurs que le machisme s'insinue vraiment partout. Il faut aussi signaler que Cheryl, contrairement à tous les autres personnages de la série, est la seule à demeurer en relation avec Gabriel pendant le déroulement de l'aventure. Elle constitue le seul point d'attache, le seul lien avec le monde qui nous est donné au début de chaque opus, celui du «Pied de Porc à la Sainte-Scolasse».


Les proches, une seconde famille

La figure emblématique de ce café est bien sur Gérard, le maître des lieux. Même si Jacques Vallet, dans L'amour tarde à Dijon en fait un personnage «désagréable»(20), Gérard est un des plus proches amis du Poulpe. Signalons au passage, que les auteurs font réellement ce qu'ils veulent des personnages, comme on a pu le voir. L'illustration est parfaite ici, puisque Vallet a choisi d'appuyer certains traits de Gérard, dans le but de le rendre antipathique, alors qu'il a simplement un caractère difficile dans les autres volumes. Cette liberté appartient aux auteurs, et sert l'ouvre. Pour en revenir au personnage de Gérard, il est d'autant plus important qu'il constitue souvent le point de départ des aventures du Poulpe. En effet, c'est le cafetier qui lui donne le journal, ou qui commence à évoquer telle ou telle affaire. Il est le détonateur de l'action. Quand on suit leurs discussions, toujours agitées, on ne peut s'empêcher de penser à des débats dignes du Café du Commerce. Il y a quelque chose d'irrésistible dans leurs conversations, qui provient peut-être du contraste entre la finesse d'analyse de Gabriel et la lourdeur pataude de Gérard. Ainsi :

«Alors, dit Gérard qui s'était enfin retourné et l'observait, bras croisés , l'air fumasse. Monsieur le Poulpe est encore dans son journal ? Monsieur le Poulpe comprend tout, une fois de plus»(21).

Pourtant, derrière ses airs bourrus et ses éclats de voix qui rappellent Raimu, Gérard est un personnage éminemment attachant. On en a la preuve dans Lundi, c'est sodomie, de Romain Goupil, où Maria, sa femme est atteinte d'un cancer. Lors d'une visite à l'hôpital, on découvre, en demi-teintes, un Gérard beaucoup plus tendre qu'à l'accoutumée, qui, «après un rapide baiser, s'affairait dans la chambre comme un gamin»(22). Maria, sa femme donc, est aussi un personnage important de la série. Ayant bien connu les parents de Gabriel, elle est devenue très proche du Poulpe. Même si ses apparitions sont fugaces, les auteurs lui ont toujours conféré une douceur, une intelligence et une joie de vivre qui joue de contraste avec le caractère épais de son mari. De plus, d'origine espagnole, les théories libertaires ne lui sont pas étrangères, comme en témoigne ce court dialogue :


«-Salue Durutti pour moi, lança-t-il à l'adresse de Maria .
-CNT/FAI, rugit celle-ci depuis sa cuisine.»(23).

On peut dire de Maria qu'elle représente toute la bonté qu'on peut trouver chez les réfugiés espagnols ayant fui le franquisme. Mais loin des clins d'oil à l'Histoire de son pays, Maria est la pièce motrice du Pied de Porc à la Sainte-Scolasse ; c'est flagrant dans l'épisode écrit par Romain Goupil, Lundi, c'est sodomie. Mais, beaucoup plus important encore, c'est dans cet épisode que son personnage est le plus étoffé. La description physique de ses «rides de malice autour de ses petits yeux noirs, des plis de sourire au coin des lèvres»(24) s'efface bien vite pour nous offrir une vision beaucoup plus intime de Maria, où elle confie à Gabriel avoir eu une relation avec leur cuisinier, Vlad. Cette révélation peut paraître totalement anodine à qui n'est pas un lecteur assidu du Poulpe, mais pour tous les autres, découvrir une facette de Maria que l'on soupçonnait si peu a réellement quelque chose de captivant et d'émouvant.

Puisqu'on l'évoque plus haut, profitons-en pour essayer de cerner la personnalité de cet ancien médecin, ayant fui les persécutions du régime roumain, et reconverti aide-cuisinier Au Pied de Porc à la Sainte-Scolasse, à savoir Vlad. Lui aussi est un personnage réservé, dont les apparitions sont brèves, mais régulières. C'est dans J'irai faire Kafka sur vos tombes, de Michel Chevron, qu'il revêt une importance supplémentaire, puisque c'est par son intermédiaire que va débuter l'aventure.

Mis à part sa liaison avec Maria que l'on évoquait plus haut, on ne sait quasiment rien d'autre sur lui ; pourtant, nul doute qu'il forme, avec Gérard et Maria le trio indissociable du Pied de Porc à la Sainte-Scolasse, trio auquel il faut bien évidemment rajouter le chien Léon, compagnon canin incontinent, dont l'âge canonique apporte une explication à ses débordements urinaires et baveux, protagoniste qui peut paraître sans intérêt, mais qui constitue pourtant un des soubassements de l'univers du Poulpe ; passer sous silence ses apparitions reviendrait très probablement à commettre une erreur.


Il est impensable de recenser les personnages qui gravitent autour de Gabriel Lecouvreur sans évoquer Pedro. Ce catalan, à l'instar de Maria était un ami très proche des parents de Gabriel, et il a toujours joué le rôle de «l'oncle toujours disponible pour rendre service»(25). Ce «vieil anarchiste catalan»(26) possède une imprimerie clandestine sur sa péniche. Habitué à se méfier de la police et de l'Etat (il a «connu les privations et les atrocités des geôles fascistes»(27), il possède toute une panoplie de faux-papiers qui servent régulièrement à Gabriel. De même, il est «depuis toujours fournisseur d'armes pour les bonnes causes et les vrais amis»(28). C'est dans Chicagone, de François Joly, qu'un pan de la vie de Pedro se révèle, puisqu'on apprend dans le même temps l'existence et la mort de son neveu. Ce personnage, possède lui aussi des caractéristiques très particulières, qui en font un élément important de la fiction : sa vie sur la péniche, son «goût pour le parler codé»(29), son passé de résistant à l'oppression fasciste (il était membre de la colonne Durutti), jusqu'à ses cigarettes Seita, tout concoure, d'une part à entourer ce personnage d'un halo de mystère, et d'autre part à susciter l'intérêt et l'attachement. Il faut bien se rendre compte de l'importance de Pedro. Sans lui, les auteurs auraient perdu toute la dimension de véracité de cette collection. Comment croire, en effet, qu'un individu peut agir en toute impunité, sans être arrêté depuis longtemps par les autorités. Pedro représente surtout la condition sine qua none de l'amorçage et de la réalisation des aventures. Etant un personnage trouble, il peut fournir tout ce qui est nécessaire à la mission du Poulpe (papiers, armes, voitures,...) et qui serait très difficile à trouver sans lui. C'est un peu l'alibi des auteurs, l'élément qui permet de croire au scénario, sans le trouver par trop irréaliste. Enfin, et un peu comme Maria, Pedro représente l'idéal libertaire, la figure mythique du combattant antifasciste. Il a acquis un statut de héros, et c'est Gabriel qui reprend son combat, avec des méthodes plus adaptées au monde actuel, en le représentant. Quadruppani ne dit-il pas que «l'influence du vieux catalan était sûrement pour quelque chose dans la vie marginale de Gabriel»(30).

Puisqu'on passe en revue les personnages qui prennent part aux aventures du Poulpe, comment éviter Jacques Vergeat, inspecteur des Renseignements Généraux de son état, et ennemi juré de Gabriel. Cet être médiocre, censé représenter l'inefficacité et la bassesse des forces de l'ordre s'est donné pour but de capturer Le Poulpe, ou plutôt d'arriver à prouver que Gabriel est un être malfaisant, dont les affaires sont «suspectes, obscures, illégales»(31) : c'est la lutte séculaire entre le libre-penseur anarchiste, et le policier, une sorte de Guignol moderne. Pour Le Poulpe, «ce n'était pas le bonhomme qu'il combattait, mais le flic qui était niché en Vergeat»(32), c 'est dire si dans les différents épisodes, la loi, et son bras armé, la police, sont ridiculisés et conspués. Pour Vergeat, Lecouvreur incarne la «défiance vis-à-vis de l'ordre, [la] haine irraisonnée de l'uniforme, [la] contestation primaire des lois»(33)., en somme tout ce qui, par essence, naturellement, intuitivement, va à l'encontre de la philosophie policière. Le jeu est donc double : par moment, Vergeat amuse, il est inculte, borné et manque cruellement de discernement, puis, dans d'autres épisodes, ou à d'autres occasions, se dessine un portrait beaucoup plus réaliste de l'inspecteur des Renseignements Généraux, où il devient beaucoup moins inoffensif, et où surtout on discerne nettement mieux le danger et le vice d'untel personnage, et d'une telle fonction.

Enfin, on se doit de ne pas omettre Raymond, qui, s'il n'apparaît que brièvement à la fin des épisodes, n'en a pas moins un rôle des plus importants, puisqu'il est responsable de la restauration du fameux Polikarpov. Cet avion soviétique, qui avait servi pour Staline pendant la guerre d'Espagne, où il avait acquis le statut d'»arme antifasciste»(34), avait été amené «à Moisselles à l'arrière d'un camion»(35). Raymond, le mécanicien, avec «ses doigts de fée»(36), comme se complaît à le rappeler Gabriel, est donc, même s'il n'oublie «jamais d'être commerçant»(37), un proche du Poulpe qui partage son rêve aérien.

On pourrait aussi citer l'oncle Emile et la tante Marie-Claude, qui ont recueilli Gabriel à la mort de ses parents, et qui sont souvent évoqués, ou tant d'autres qui n'apparaissent que le temps d'un épisode, mais il semble que le but est atteint : les personnages secondaires, qu'on peut croire anodins, sont en réalité déterminants dans le développement de l'univers du Poulpe. Souvent à l'origine des aventures, ils ont tous un rôle qui structure la fiction. On peut aussi remarquer qu'ils bénéficient tous d'un épisode où leur rôle est grossi, et où ils apparaissent sous des biais jusqu'alors inconnus. De la même façon qu'on apprend des pans de la vie de Gabriel, on découvre des personnages en profondeur, selon la teinte et l'importance qu'on leur confère. Il est vrai aussi que chaque personnage correspond à une partie de la vie du Poulpe, c'est-à-dire qu'ils l'ont tous comme dénominateur commun. Chaque élément qu'on prétend secondaire a une fonction précise et distincte, autonome ; il existe donc des jonctions, des liens entre les personnages, mais aussi entre les personnages et Le Poulpe. Rien n'est laissé au hasard, et tout concoure à faire de cet univers un monde ordonné et cohérent, où les protagonistes prennent et perdent de leur importance, mais sans jamais cesser d'exister.


L'âme des lieux

Dans cet ordre d'idée, il nous faut nous pencher sur un élément évidemment moins facile à discerner de prime abord, mais qui prend dans la série une place énorme. Il s'agit des décors. Bien sûr, on va pouvoir évoquer les nombreux lieux, les cadres où se déroulent les aventures, mais il semble que certains décors soient bien autre chose que de banals arrière-plans.

Mais avant de s'interroger sur le traitement réservé à certains décors, il convient de se pencher sur la multitude de lieux où l'action prend place. Si dans les premiers volets de la série, Gabriel se cantonne aux limites de l'hexagone, il va vite «s'internationaliser», et parcourir l'Europe, voire même rejoindre le continent africain dans Allah recherche l'Autan perdu, de Dadoun. En général, les descriptions sont, dans Le Poulpe, très étoffées, et témoignent bien souvent de l'attachement de l'auteur pour la région dépeinte. Ainsi Gérard Lefort, dans Vomi soit qui malle y pense, a-t-il placé l'action dans une région qu'il affectionne, et dont il avait envie de parler, la Bretagne. Les évocations comme celle qui suit, sont révélatrices de l'intérêt de l'auteur pour cette province :

«Le panorama lui sauta au visage et dissipa sa rogne. La maison de Françoise surplombait une vaste moquette de champs de choux encore tout luisants d'une averse récente. Le ciel se permettait une éclaircie en cascade de bleus pâles. A travers une trouée d'ajoncs, l'Atlantique, parfaitement jade, sans un frisson. Très loin, un navire de guerre sortait de la rade de Brest, laissant dans le ciel des traces fines de fumée noire.»(38).

On pourrait répéter ce genre d'exemples en citant des descriptions du paysage ariégeois issues de Les pis rennais, de Pascal Dessaint, ou de la Côte d'Azur, dans La pieuvre par neuf, de Paul Vecchiali, il paraît plus intéressant de citer le cas de l'ouvrage de François Joly, Chicagone, où la description n'est pas emphatique et ne fait pas office d'hommage à la banlieue lyonnaise. Quand Joly insiste sur «les grandes concentrations urbaines mal foutues»(39) en prétendant que jamais «rien n'atteignait, comme ici, la notion d'inachevé, et somme toute de mépris de l'homme que ce paysage semi-urbain»(40). Le Poulpe se demande même comment on peut «vivre dans le sud de Lyon»(41). Il est clair que les évocations que l'on trouve dans la collection ne sont pas toutes des témoignages de l'amour de leurs auteurs pour la région décrite. Ce peut être aussi la meilleure façon de dresser un état des lieux sur une faille, un échec. La description prend alors un ton d'engagement et se teinte d'un réalisme nécessaire à tout bilan. Le décor montre, explique, et permet de comprendre ; il est donc partie intégrante de l'action. On peut expliquer toute l'affaire développée dans Lapin dixit, de Serge Meynard, en s'attachant à mettre en relief la situation géographique et économique de la banlieue-est de Paris. Le décor joue ici un rôle de témoin, et le fait que les auteurs aient si souvent recours à la description prouve que les arrière-plans ne servent pas de bouche-trous, mais cristallisent la situation, amorcent l'enquête et teintent l'ouvrage d'une ambiance particulière, et unique.

Par ailleurs, d'autres décors méritent une attention toute particulière, pour l'évidente raison qu'ils reviennent à chaque épisode. Ainsi, l'évocation du onzième arrondissement de Paris est devenue une habitude, voire même un passage obligé chez les écrivains en charge d'un épisode. On assiste donc, régulièrement, à l'évocation de la vie de tout un quartier, que Jacques Vallet, par exemple, semble tenir particulièrement en estime, à l'image du Poulpe qui aime «traverser un Paris encore populaire»(42). Le respect pour le onzième arrondissement symbolise l'amour d'une ville en mutation, en proie aux pires spéculations immobilières, transformant les «derniers îlots de vie»(43) en chantiers de maisons «murées ou démolies»(44). Ce quartier, à l'image du petit village gaulois de la bande-dessinée Astérix, paraît résister à un envahisseur dont on connaît plus les capitaux et les moyens que le nom. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les auteurs de la collection aiment ce quartier, si loin du faste et de la superficialité d'autres coins de la capitale. Au beau milieu de ce quartier, se trouve «ce rade du onzième [qui est] le seul endroit au monde qui [peut] lui donner l'impression d'être chez lui»(45) : le Pied de Porc à la Sainte-Scolasse. Ce café-restaurant, repaire du Poulpe symbolise parfaitement le bar parisien qui rassemble une clientèle d'habitués, souvent des natifs du quartier. Loin des endroits à la mode, ce café, à la «logique simple et indiscutable d'un slogan anarchiste»(46) représente le bon sens et les joies simples de la vie. Ce lieu, récurrent dans les aventures du Poulpe, a su acquérir une âme. Il ne constitue pas un simple décor, mais bel et bien une des composantes de l'ouvre, exactement comme les personnages. Les quelques points stratégiques du onzième arrondissement, à savoir l'Avenue Ledru-Rollin, la Place Léon Blum, le salon de coiffure de Cheryl, la rue de Charonne, et évidemment le restaurant de Gérard et Maria sont autant de repères qu'on apprend, au fur et à mesure des épisodes, à identifier, puis à apprécier comme autant de balises de reconnaissance dans un univers peu ou pas connu. A l'âme de ces lieux est immanquablement associée l'image du Poulpe, dont l'univers se résume à ces quelques rues, et dont le bonheur réside dans «un léger flottement dans l'âme où se mêle l'odeur pointue du vernis des tables, et celle plus ocre de la sciure dont le patron a généreusement ensemencé le parquet»(47).

Partie intégrante de la série, les décors ne sont pas des images interchangeables ; souvent considérés comme des passages obligatoires dans l'écriture d'une fiction, les lieux servent parfois plus à masquer l'indigence d'un scénario qu'à le servir. Ici, au contraire, ils possèdent une âme qui tend à pérenniser l'image d'un quartier naguère populaire et de plus en plus en proie aux attaques d'un urbanisme sauvage et dévorateur.

On vient de se pencher tour à tour sur l'idée de Jean-Bernard Pouy, puis sa concrétisation au travers du Poulpe, et enfin sur l'univers qui entoure le personnage principal. En somme, on s'est interrogé sur le lot de contraintes que Pouy a su imposer, tout en laissant la porte ouverte à ce qu'on peut nommer des améliorations personnelles, tout en gardant intacte l'idée forte, ce que certains pourraient désigner sous le terme de concept. Cette trame se cristallise autour de l'incontournable Gabriel Lecouvreur, dont on a pu voir que les méthodes autant que la vie sont pleines de surprises, surprises d'autant plus fréquentes que les auteurs de la série s'attachent généralement à un détail de la vie du Poulpe, pour en faire le départ d'une nouvelle aventure, éclairant par là-même des pans entiers de la vie du héros mystérieux. La même technique est employée dans le traitement des personnages appelés à tort secondaires, dont le nombre assez développé n'empêche en rien la grande profondeur psychologique, qui d'ailleurs s'étoffe au gré des épisodes. Enfin, et presque par comparaison, nous nous sommes penchés sur les décors, leur rôle, et surtout leur statut, réflexion qui invariablement apporte la preuve que les lieux ont une âme dans cette série, et que leur rôle ne se cantonne pas à servir de cadre, mais plutôt, par le biais de liens invisibles entre personnages, décors et trame, de support indispensable à l'action. Au risque de se répéter, ce projet apparaît donc comme une machine très bien huilée, puisqu'en rodage permanent, et la vitalité que peut apporter le changement d'auteur est évidemment liée à l'impression de recréation perpétuelle. De même, ce projet est ambitieux, dans le sens où il ne connaît pas d'achèvement, de fin. En effet, si les lieux, et pour cause, sont multipliables à l'infini, et s'il ne se pose donc aucun problème pour camper l'action dans des endroits toujours différents, cette liberté est d'autant plus grande pour les protagonistes, dont la personnalité se creuse au fil des épisodes, gagnant à chaque fois un peu plus d'intérêt et de véracité. Bien loin d'être une idée farfelue, le projet de Pouy concentre des énergies neuves sur une même cible, ce qui, inévitablement, génère la création. On est donc en droit de se demander quels thèmes vont être amenés par ce projet, et bien sûr ce qu'il implique politiquement.

La suite...




(16)-Jean-Bernard Pouy. Entretien paru dans le Nouvel Observateur (19/22 janv. 1996).retour
(17)-Patrick Raynal. Arrêtez le carrelage. Ed. Baleine (1996), p.25.retour
(18)-Jean-Bernard Pouy. Cahier des charges.retour
(19)-Roger Dadoun. Allah recherche l'Autan perdu. Ed. Baleine (1996), p. 127.retour
(20)-Serge Vallet. L'amour tarde à Dijon. Ed. Baleine (1997), p. 15.retour
(21)-Serge Quadruppani. Saigne sur mer. Ed. Baleine (1996), p. 22.retour
(22)-Romain Goupil. Lundi, c'est sodomie (1996), p.81.retour
(23)-Claude Mesplède. Le cantique des cantines. Ed. Baleine (1996), p. 18.retour
(24)-RomainGoupil. Lundi, c'est sodomie. Ed. Baleine (1996), p. 113.retour
(25)-Serge Quadruppani. Saigne sur mer. Ed. Baleine (1996), p. 29.retour
(26)-François Joly. Chicagone. Ed. Baleine (1996), p.9.retour
(27)-François Joly. Chicagone. Ed. Baleine (1996), p.9.retour
(28)-Serge Quadruppani. Saigne sur mer. Ed. Baleine (1996), p. 29.retour
(29)-id.retour
(30)-Serge Quadruppani. Saigne sur mer. Ed. Baleine (1996), p. 29.retour
(31)-Roger Dadoun. Allah recherche l'Autan perdu. Ed. Baleine (1996), p.130.retour
(32)- Didier Daeninckx. Nazis dans le métro. Ed. Baleine (1996), p.32.retour
(33)-Didier Daeninckx. Nazis dans le métro. Ed. Baleine (1996), p.33.retour
(34)-Alain Puiseux. Je repars à Zorro. Ed. Baleine (1997), p. 147.retour
(35)-Alain Puiseux. Je repars à Zorro. Ed. Baleine (1997), p.148.retour
(36)-id.retour
(37)-Alain Puiseux. Je repars à Zorro. Ed. Baleine (1997), p. 149.retour
(38)-Gérard Lefort. Vomi soit qui malle y pense. Ed. Baleine (1997), p.94.retour
(39)-François Joly. Chicagone. Ed. Baleine (1996), p.23.retour
(40)-id.retour
(41)-François Joly. Chicagone. Ed. Baleine (1996), p.24.retour
(42)-Jacques Vallet. L'amour tarde à Dijon. Ed. Baleine (1997), p.13.retour
(43)-id.retour
(44)-id.retour
(45)-Patrick Raynal. Arrêtez le carrelage. Ed. Baleine (1996), p.15.retour
(46)-Patrick Raynal. Arrêtez le carrelage. Ed. Baleine (1996), p.16.retour
(47)-Franck Pavloff. Un trou dans la zone. Ed. Baleine (1996), p.14.retour