Les professionnels ont leurs mots à dire :
les voici !
Les quotidiens nationaux
, 7 octobre 1998
Moins que du cinéma d'hauteur, «le Poulpe» ressortit à l'OVNI d'un cinéma d'«auteurs».
Comme ne l'indiquent ni son contenu ni son générique - hormis une infime mention -, il s'agit de
la transcription sur grand écran d'un anti-héros né voici deux ans et dont les tentacules
ont poussé, à ce jour, au fil de l'imagination de près d'une centaine d'écrivains.
Le Poulpe, vengeur libertaire accueilli par les éditions Baleine, aura quarante ans en l'an 2000. Il pourfend
l'extrême droite, tous les intégrismes, flirte aussi bien avec l'écologie qu'avec les diverses
composantes de la gauche. Il voyage dans l'Hexagone, en Europe, à la Réunion ou en Afrique, ramasse
du fric autant au gré des coups de gueule de ses pères successifs que des pièces manquantes
de son Polikarpov, la «mosca' symbole de la guerre d'Espagne, dont, une fois retapé entièrement,
il prendra le manche pour s'envoler définitivement hors de nos yeux.
Sur grand écran, même portées par les facéties de deux de ses fondateurs (Jean-Bernard
Pouy et Patrick Raynal) et d'un petit nouveau dans la galaxie polar qui en signe la réalisation (Guillaume
Nicloux, auteur du 'Saint des seins'), ce Poulpe-là risque de désappointer ceux qui ne le connaissent
point et de fonctionner sur le seul mode du clin d'oeil pour les autres. Sur fond d'une esthétique Formica
délicieusement ringarde se meuvent des acteurs dont l'interprétation dépasse la représentation
de leurs personnages, telle que chaque lecteur a pu se les construire: Jean-Pierre Darroussin (Gabriel Lecouvreur
alias Le Poulpe), Clotilde Courau (Cheryl, sa copine coiffeuse), Aristide Demonico (Pedro, l'anar rescapé
de la guerre d'Espagne, rendu ici plus bouffon qu'il n'apparaît par écrit), etc. Ajoutons ensuite
le choix judicieux de Saint-Nazaire, ses docks, ses bunkers, quelques ingrédients du cahier des charges
originel - l'antifascisme, les trafics France-Afrique -, et des bons mots, servis en particulier par un chauffeur
de taxi (Stéphane Boucher), du genre: «- Vous n'êtes pas flic par hasard? - Non. - Tant mieux,
parce qu'on n'est jamais flic par hasard.» Et l'on reste pourtant sur sa faim.
Pourquoi? Parce qu'à force de concevoir chaque plan sur le mode de la bande dessinée «underground»
comme autant de bandes-annonces d'un film à venir, celui-ci semble réduit aux signes extérieurs
du personnage-titre. Un programme commun minimum suffira-t-il à rallier les aficionados?
Michel Guilloux
, 7 octobre 1998
Le Poulpe, c'est normal, on ne sait pas très bien comment le prendre. Ni comprendre pourquoi,
après quarante-cinq minutes de surprenante euphorie, le film de Guillaume Nicloux reste sur le carreau.
Car Nicloux, c'est déjà la belle surprise, a placé la barre plus haut qu'il n'était
sûrement attendu de lui, c'est-à-dire mener à bien un film de fonds de commerce; ce que les
Américains appellent une «franchise». Le Poulpe, récent phénomène
de librairie, plus de soixante-dix livraisons à ce jour, bla-bla-bla... Mais Nicloux travaille à
la fois dans le ton de la série, et aussi légèrement à côté. Le plan d'ouverture
(l'affiche aussi) sur les deux portugaises de Jean-Pierre Darroussin, de dos, était déjà de
très bon augure, et tout le début du film est à l'avenant: pas un raté dans la distribution,
Clotilde Courau au poil (et à poil) dans le rôle de la copine shampouineuse, Sheryl. Les deux acteurs
font feu de tout le tas de bois empilé bon an mal an par les dizaines d'auteurs qui se sont collés
à la chose. Ici, elle se laisse embarquer comme d'habitude dans les salades du Poulpe, encore une proposition
d'arsouille, genre, «ça te dirait deux, trois jours à la mer?». Qu'importe si c'est à
Angerneau, Bretagne en plein hiver, et justement le coinstot qu'elle a fui dans sa jeunesse.
Ambitions. Nicloux nous livre plaisanteries acidulées et bouts de trame «policière»
comme du bout des lèvres, ayant auparavant opéré un sérieux saucissonnage du scénario.
L'effet est intéressant, du moins intrigant et sympathique au début, prouvant que Nicloux a des ambitions
et une personnalité aussi marquées que celles des créateurs du Poulpe. Alors? Le plus
étonnant c'est qu'on ne puisse pas dire que le film se barre en couilles parce qu'il a pris tel ou tel mauvais
tournant, choisi telle option fatale. Il continue, sur le même mode, sans mâcher le mouron pour personne.
Il cesse néanmoins de fonctionner tout en appliquant les mêmes procédés qu'avant, qui
n'étaient donc pas si bons que ça. Car le film broute souvent comme une 2CV: à force de nous
baguenauder d'une scène à une autre avant d'y retourner pour la conclure (ou non), à force
de nous frustrer le bon vieux plaisir d'identification, on finit par ne plus s'intéresser à rien
ni personne. Sheryl manque de se faire violer sur la plage? On est bien content de ne pas avoir à regarder
ça, mais au fond on s'en tape. Comme le Poulpe, vous me direz, mais ce ton finit par tuer le capital de
sympathie initial.
Il y a plus gênant: cette façon bien parisienne de montrer la province, où tout le monde
est abruti, bourgeois et marginaux confondus, et bien sûr alcoolique. Un personnage d'écrivain est
toujours une sale affaire dans une fiction, mais cet Ecossais bourré l'est encore plus que permis. Il y
a pire: le fait que le «social» et le «politique» soient véhiculés avec une
telle légèreté, comme si ce n'était qu'une maille du tricot. Du coup, ces sombres histoires
de travailleurs étrangers importés pour récurer les culs-de-basse-fosse nucléaires,
ou les magouilles d'une députée simili-FN, n'ont guère plus de poids qu'une vanne ou un bon
mot cynique. Ces sorties «politiques» font plus ameublement qu'autre chose.
Objectif série. Il se peut aussi que ce soit l'effet produit par le louable parti pris rigoureux
du cinéaste, et non une grosse fatigue des créateurs du Poulpe qui auraient épuisé
leur fond de rage anarcho-gauchiste. Quoi qu'il en soit, le Poulpe laisse curieusement la même impression
qu'on pouvait avoir devant Diva en 1981: un machin déconcertant, original, mais aussi singulièrement
froid et vide. Ce qui n'empêchera sûrement pas qu'il en sorte un second, et pourquoi pas un troisième
(comme Chabrol faisait ses Tigre), puisqu'après tout, c'est surtout ça l'idée.
Philippe GARNIER
, 8 octobre 1998
Bons mots, militantisme simpliste et rock'n'roll
Les enquêtes du personnage créé par Jean-Bernard Pouy ne passent pas le cap du grand écran.
Dans le meilleur des cas, Le Poulpe aurait pu, aurait dû être une version moderne, plus politique,
plus insolente de la série des Lemmy Caution avec Eddie Constantine. On avait toutes les raisons de se réjouir
du passage au grand écran du personnage créé par Jean-Bernard Pouy, par ailleurs coauteur
du scénario du film avec Patrick Raynal, ne serait-ce que parce que ce personnage littéraire se situait
au carrefour d'une tradition populaire et d'une volonté militante dont on imaginait sans mal tout le potentiel
qu'elle possédait en vue d'une adaptation cinématographique.
PERFECTO ET ZEN
Comme son nom l'indique si bien, le Poulpe est flasque. C'est une blague, un calembour de bon goût, construit
en hommage à la littérature pulp. Il est pourtant nécessaire de prendre ce Poulpe au sérieux
et de ne pas faire n'importe quoi avec. Guillaume Nicloux a pris l'option d'un Poulpe rock'n'roll. Un choix qui
l'honore, à condition de savoir qu'en faire. Or, entre un film rock'n'roll et un film à la mode,
il y a un monde. Nicloux confond les deux. Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe, interprété avec beaucoup
de consistance par Jean-Pierre Darroussin, porte le Perfecto, des chaussures blanches ridicules, cultive une attitude
zen. Le film est d'ailleurs traversé d'une bande-son assourdissante et omniprésente dont son réalisateur
se sert mal. La musique au cinéma n'a jamais consisté à appuyer frénétiquement
sur les boutons d'un juke-box par peur du vide. Cette approximation se retrouve dans les choix stylistiques, globalement
incohérents, de Nicloux. Comment passe-t-on d'un prégénérique manifestement emprunté
à l'esthétique du clip, à un récit beaucoup plus contemplatif, presque lent ?
Nicloux a pris l'option d'un poulpe sensuel, accroché en permanence à sa Cheryl comme une moule à
son rocher. Dans les romans, la rencontre entre Gabriel Lecouvreur et Cheryl était obligatoire, mais ne
se produisait qu'une fois. Le Poulpe de Nicloux carbure aux anabolisants et redouble d'énergie, sauf que
cette énergie et les scènes récurrentes de chambre à coucher masquent des trous dans
un récit qui embarrasse à intervalles réguliers son réalisateur.
Il y a une histoire dans ce Poulpe, à laquelle on ne comprend parfois rien, mais qui repose au moins sur
des dialogues très réussis. On distingue dans ce magma deux pilleurs de tombes assassinés,
un écrivain alcoolique qui hurle à la lune près d'un cargo aux activités douteuses,
un travesti, la fille délinquante d'un entrepreneur richissime et véreux. Et une candidate d'extrême
droite qui pourrait servir de lien entre tous ces personnages.
Le militantisme du Poulpe est sympathique, mais, après plus de 140 épisodes publiés, il ne
surprend plus, et produit à son tour ses propres clichés. Il fallait donner une forme cinématographique
au Poulpe, au lieu de le cantonner à quatre décors, des échanges de bons mots, et une idéologie
simpliste. L'esthétique du film de Nicloux tient de la mauvaise série télé ; son Poulpe
ne vaut même pas un bon épisode de "Navarro".
, 7 octobre 1998
A l'origine, le Poulpe est le héros rigolo d'une série de petits livres policiers. Les fans du
Poulpe seront ravis et les autres pas mécontents du tout de faire connaissance avec cet anti-conformiste
sympa.
Figaroscope, 7 octobre 1998
Un polar allumé !
Le Couvreur est enquêteur du genre "privé" mettant les pieds et tout le reste dans les plats
de ce qui ne le regarde pas. Après avoir fouiné au fil des pages d'une collection portant son nom
("Le Poulpe" aux éditions Baleine), le voici sur grand écran. Pour débusquer des
magouilleurs de haut vol, des hommes d'affaires véreux qui se targuent de faire dans l'humanitaire.
Filmées par Nicloux (Guillaume) -un auteur devenu réalisateur- les tribulations de ce limier errant
dans les bas-fonds de la corruption bousculent les conventions, mettent le feu aux poudres du raisonnable, tirent
dans tous les recoins avec une artillerie crachant des balles humoristico-anarco-traçantes. Composé
de superbes "gueules cassées" ou plus ou moins "déglinguées" par les coups
durs de la vie, ce "Poulpe" se déguste comme l'on savoure un grand cru classé. En prime
: il est interprété par Darroussin (Jean-Pierre) piquant, décalé, déconcertant,
totalement épatant et une Courau (Clotilde) atrocement mutine, chatoyante, délicieusement dévergondée.
GD
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