Les professionnels ont leurs mots à dire :
les voici !
Les revues de ciné
, 7 octobre 1998
Le héros de papier prend corps dans un film fouillis, truffé de moments
savoureux.
Le chauffeur de taxi a mis les points sur les i : «Angerneau, c'est comme le cimetière : ça
mérite le détour mais ça vaut Pas le voyage.» C'est vrai qu'il a l'air sinistre,
ce port sur l'Atlantique, et les autochtones, au diapason. Gabriel Lecouvreur, alias le Poulpe, a débarqué
là avec Cheryl, sa craquante copine shampouineuse, sur les traces de profanateurs de tombes. Mais ce n'est
encore que de l'anecdote. Tout est dans l'écheveau d'histoires bien tordues qui attendent le couple et que
le Poulpe va tenter de démêler. La disparition d'un ado, les trafics d'un notable douteux, le malaise
de sa fille terrorisée, la campagne électorale d'une militante d'extrême droite (sosie de la
dame BCBG de Vitrolles ... ), la pendaison d'un jeune mec sur les quais... «Le Poulpe» est, au départ,
une collection (inégale) de romans policiers lancée par Jean-Bernard Pouy ; de la vraie littérature
populaire qui ne se prend pas au sérieux, mais branchée sur notre quotidien fin de siècle,
avec pas mal de poil à gratter dedans. Un ton qui sert d'identité à son héros. Lequel
a la manie d'aller traîner sa fausse nonchalance dans la France profonde pour y déterrer des saloperies
bien enfouies, faites de sordides trafics avec beaucoup de fric à la clef, de fascisme ordinaire et d'injustices
à hurler. Sauf qu'il n'est pas du genre à hurler son dégoût, le Poulpe. Il n'a pas la
conscience qui saigne, mais les pourris de tout calibre le débectent, et la conviction profonde de cet anar
libre dans sa tête et imprévisible dans ses actes, c'est qu'il faut les empêcher de nuire. Il
s'y emploie.
Pour ses débuts au cinéma, il risque de dérouter les amateurs d'intrigue fléchée.
«Tu ferais mieux de suivre l'histoire», lance à mi-chemin Gabriel à Cheryl. On
jurerait que la réplique s'adresse au spectateur. Car, le plus souvent, les morceaux du puzzle s'emboîtent
par hasard, à l'improviste, dans le désordre. Un personnage apparaît, un autre disparaît.
Le lien entre eux ? On cherche... En fait, c'est dans les creux de l'action, dans les digressions sarcastiques
de la très aléatoire enquête «poulpesque» que se niche la singularité du
film. Et tout autant dans les savoureux tête-à-tête du couple Gabriel-Cheryl, cette drôle
d'association tendue et tendre, où le laconisme cinglant de l'un et la vivacité électrique
de l'autre font un cocktail détonant. (Jean-Pierre Darroussin et Clotilde Courau sont mieux que bien : étincelants.)
La désinvolture semble inscrite dans le cahier des charges. C'est parfois aussi agaçant que le télescopage,
ici et là, du «popu», ciselé à l'ancienne, des dialogues (disons, post-Audiard)
et du - branché - décalé des ambiances glauques. Mais, finalement ce que l'aventure perd en
consistance elle le gagne en fantaisie. D'autant que Guillaume Nicloux, le réalisateur et coscénariste,
manifeste une verve réjouissante dans le portrait travaillé à l'ironie décapante. Cela
ne suffit pas à annoncer le renouveau du polar français, en sommeil prolongé, mais ce petit
coup de jeune est plutôt une bonne nouvelle.
Jean-Claude Loiseau
, octobre 1998
Il y a dans Le Poulpe (co-écrit par deux auteurs de la Série Noire, Jean-Bernard Pouy et
Patrick Raynal, ainsi que par Nicloux lui-même) un moment où passe, obscurément, à
travers la confusion de l'intrigue, le sentiment que «tout est dans tout», que la profanation d'un
cimetière (tout part de là), l'humidité des pavés du port d'Angerneau, les visages
hiéroglyphiques de ses habitants, les étranges choses qui y arrivent, tout cela n'a qu'une seule
et même cause : où, on l'ignore encore, mais sûrement très haut et très loin.
A ce stade, l'équilibre est parfait entre l'acharnement solitaire du Poulpe (assez bien incarné par
Jean-Pierre Darroussin) à percer un mystère dont l'existence même est encore incertaine et
le déroulement muet des événements ; entre, disons, l'écriture et la lecture d'un sens.
On se convainc alors, au moment où le film semble hésiter entre plusieurs pistes, que sa force n'est
pas du tout dans la façon qu'il aurait de s'amuser avec les poncifs du genre (second degré, désamorçages),
ni même dans la batterie d'effets déployée par Nicloux, mais bien dans ce qui l'inscrit au
coeur de ce même genre, la Série Noire.
Celle-ci a toujours voulu mettre à nu, derrière la dérision informe du monde, une Grande Raison,
un Grand Motif, et c'est ce mouvement de remontée obsessionnelle vers le Sens que reproduit le film (et
qui fait son intérêt). Lorsqu'il s'avère qu'aucune des trognes qui ont foulé le champ
n'y est apparue par hasard, que chacun, patron de café, clients, travestis... a sa part dans le dessin de
ce Grand Motif, Le Poulpe est, pour quelques minutes, transporté par ce qu'on pourrait appeler l'admirable
paranoïa de la Série Noire. Très logiquement, la grande complication du scénario dans
le détail est corrélative de l'adoption finale d'une hypothèse hyper-simplificatrice : profanation,
meurtres, musique techno, grosse fortune régionale, tout ça, en gros, c'est la faute au FN. Le folklore
de la France des gueules, digne de Chatilliez ou de Blier - en plus appuyé : voir défiler, scène
après scène, tous ces acteurs entrevus dans des seconds rôles de films, de téléfilms
ou sitcoms, produit un effet assez terrifiant - cède la place à un «tous coupables»
plutôt douteux, mais qui a au moins le mérite de la clarté.
Le trajet du Poulpe (chaos général puis ligotage par le sens) est tout simplement celui d'un
salut. Désigner un coupable unique, c'est toujours sauver le monde dans sa totalité. Que ce coupable
soit le FN, cela, à la limite, est indifférent, l'important est dans le mouvement de remontée
vers le sens, pas dans le sens lui-même. La noirceur très années 90 de Nicloux, sa capacité
d'accélération dans le cauchemar peuvent être fascinantes, mais son gauchisme, quoi qu'il vise,
est en dernière instance réconciliateur.
Emmanuel Burdeau
, octobre 1998
Le Poulpe est d'abord un héros littéraire et populaire, dont la biographie obéit à
un cahier des charges bien précis et dont les innombrables aventures ont été narrées,
avec beaucoup de succès, par des auteurs différents (éditions Baleine). Le Poulpe, c'est l'anti-SAS,
l'anti-James Bond, un privé français solitaire qui travaille pour son compte, qui se nourrit de faits
divers dans lesquels il ne peut résister à fourrer son nez, qui aime la bière et Cheryl, sa
petite amie coiffeuse, et qui déteste le FN.
Le Poulpe était une star du polar moderne, le voilà, aujourd'hui, star de cinéma. C'est Jean-Pierre
Darroussin - croustillante idée qui prête ses épaules voûtées, son oeil brillant,
ses sourires en coin et ses poings vengeurs au personnage. Et c'est Clotilde Courau - séduisante trouvaille
! - qui donne sa dégaine décontractée, ses courbes érotiques et sa force de caractère
à Cheryl.
Le duo est efficace et détonant. On ne pouvait trouver meilleur tandem pour mettre avec délectation
les pieds dans le plat des combines bourgeoises, des magouilles politiques et du politiquement correct. Et pour
rendre le ton singulier du Poulpe, mélange de causticité et de bon sens. Les dialogues, pourtant
minimalistes, sont d'ailleurs de vrais bijoux.
Jusqu'ici passé inaperçu, Guillaume Nicloux semble faire ses vrais débuts de réalisateur.
Sa mise en scène volontairement décalée a une forme d'élégance, que renforcent
une lumière sophistiquée et des décors colorés. Et même si l'intrigue se perd
parfois dans des ramifications compliquées, qui ralentissent le rythme, on jubile de voir le Poulpe en chair
et en os. On espère que ses aventures cinématographiques seront aussi longues et riches que dans
les bonnes librairies.
M.R.
, octobre 1998
Ainsi Front font font. Gabriel Lecouvreur, dit le Poulpe, privé anar à son compte, accompagne sa
copine Cheryl à Morsang, sur la tombe de ses grandsparents. La tombe est profanée, le Poulpe n'est
pas content et il lance ses tentacules dans un marigot facho.
La pieuvre par trois. 1. La plus belle idée du Poulpe, le film, c'est d'avoir mis le visage de Jean-Pierre
Darroussin sur le personnage de papier créé par le romancier Jean-Bernard Pouy. 2. La bonne surprise
du Poulpe, le film, c'est qu'il est bien supérieur à la majorité des Poulpe, les livres, souvent
écrits avec autre chose que les doigts et parfois pire que les pieds. 3. La réussite du Poulpe, le
film, c'est d'avoir adopté les rails du polar sans pour autant oublier les aiguillages. Sans doute doit-on
les rails aux coscénaristes Pouy et Patrick Raynal (écrivain et directeur de la Série noire),
auteurs et amateurs du genre, qui usent du mot d'auteur comme d'autres du pantalon sur les bancs d'école
et qui se baignent dans la fiction, même en hiver. De Nicloux (aussi coscénariste), on retrouve
la patte dans les bordures où il fait pousser une galerie de gueules iconoclastes qui ne servent pas toujours
l'intrigue mais qui enjolivent sacrement bien le tableau. Et ensemble, fidèles au principe des romans, les
trois compères taillent un short salutaire au FN, ce qui n'est jamais mauvais par les temps qui galopent.
Alors, qu'on s'embrouille le pourquoi du comment dans la résolution de l'enquête et qu'on doute parfois
de l'efficacité dramatique à multiplier les personnes n'est pas bien grave pour un film qui joue
le plaisir éphémère de la situation qui se déroule sous les yeux. Eh oui, voir les
pompes du Poulpe fait plaisir; oui, la nuisette de Chéryl (emballante Clotilde Courau) aussi; oui, la saloperie
de Nicolas Lesprit (épatant Frédéric van der Driessche) également; oui, la bande son
rock enchante l'oreille (et même les deux par grand vent) et que celui-elle qui ne sourit pas à l'entente
de la maxime préférée du Poulpe («À force d'enculer les poules, on finit par
casser les oeufs»), que celle-lui, donc, aille bouffer du merlu.
Eric LIBIOT
, octobre 1998
Le Poulpe, c'est un mec bien. Il fréquente assidûment les bistrots de la capitale, toujours prêt
à élucider les plus embrouillés des faits divers, accessoirement à défendre
la veuve et l'orphelin. Un mec bien tant qu'on ne lui cherche pas des noises : tendre avec Cheryl, la shampouineuse
de son coeur, ou brut de décoffrage lorsque des marlous organisent un trafic nauséabond. Selon la
cuisson, donc
Inutile de chercher à démêler l'écheveau d'une intrigue tentaculaire, Le Poulpe est
un mets dont on déguste le sang d'encre sans trop se poser de questions. Ambiance portuaire garantie 1 00
%lugubre, défilé de trognes patibulaires, répliques ping-pong, rythme yo-yo entre indolence
et coups d'accélérateur . sans aller jusqu'à parler de révolution, Guillaume Nicloux
a travaillé son atmosphère et imposé un ton, au confluent du polar "tradition française"
et des rivages noirs américains. Tout en respectant l'esprit populaire de la littérature "poulpesque",
le scénario s'est permis quelques incartades, dont la plus ingénieuse reste le tandem le Poulpe/Cheryl,
rarement de concert lors des enquêtes. On jubile de voir la nonchalance de Darroussin déraper sans
crier gare et la fantaisie de Clotilde Courau exploitée à son zénith. Séparément,
ces deux-là font déjà des étincelles, mais en duo, c'est un véritable feu d'artifices,
d'où la tendresse jaillit de façon joliment impromptue.
Philippe Paumier
En deux mots: Iconoclastes et débridées, les aventures du Poulpe et de sa pulpeuse Cheryl franchissent
avec brio le cap du grand écran.
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