Au clair de la lune...






Suivez le guide...






















































































Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
2 mai 1999

Le Chatrou contre Ernest Bouganmoin
(
une aventure du Chatrou)
 


Grosse actualité pour Jacques Vettier, puisqu'il sort au mois de mai trois bouquins, rien de moins : Nécroprocesseurs, chez Métailié, un Macno chez Baleine, et un recueil de nouvelles, Avès Sotavento, chez Largo. Ce dernier opuscule a retenu particulièrement notre attention, puisqu'une des nouvelles met en scène Virgile Cyprien, alias le Chatrou.


En voici un avant-goût, offert par l'auteur !
(allez on claque tous dans ses mimines pour le remercier)

Le soleil commençait d'éclairer l'église de Vieux-Morne et la cour de l'école, Virgile Cyprien avança sur l'un des pontons de bois, prit son élan, plongea et entama son crawl matinal en direction de l'îlet Duberran. Huit cents mètres aller retour.

Quand il revint le soleil avait dépassé l'îlet Macou. Virgile se rinça au jet, laissa le soleil et l'alizé le sécher, puis regagna la terre et La Baguette, l'épicerie-boulangerie-bistrot du port où il s'installa à sa table favorite, un oil sur la place l'autre sur le quai.

Le patron de La Baguette s'approcha, plateau à la main.

- Ka ou fé, Chatrou? demanda-t-il.

- Ou ka fé alé, Robert, ou ka fé alé, répondit Virgile Cyprien alias Le Chatrou.

Robert hocha la tête et disposa café, pain, beurre et confiture.

L'heure était agréable. Bientôt il ferait très chaud, à moins que l'alizé forcisse un brin. Le Chatrou mastiqua lentement sa dernière tartine à la confiture de coco. A l'intérieur du bistrot les anciens claquaient le domino et achevaient leurs décollages. Au quai de la station Texaco les pêcheurs remplissaient d'essence les fûts de deux cents litres sanglés aux saintoises. Sous l'appentis de la place Honorine et Marie-Louise ordonnaient tomates, racines et corossols.

Quelque chose effleura les cheveux du Chatrou. Il ferma les yeux. Des lèvres pressèrent les siennes, et une langue joua quelques seconde entre ses dents. Lorsqu'il rouvrit les yeux Gilda était assise face à lui, une tasse de café entre deux doigts.

- Tu vas à Pointe ce matin? demanda-t-il.

- Eh oui, je travaille, moi! répliqua Gilda en étirant un sourire.

Le Chatrou grommela quelque chose d'incompréhensible, Gilda continua de sourire derrière sa tasse. Sur la place, au-delà de l'épaule de la jeune femme, deux charmantes attendaient le bus pour les Abymes, abritées du soleil par un parapluie, nonchalantes et belles. Le regard du Chatrou dériva dans leur direction. Aussitôt un index à l'ongle mauve virevolta devant ses yeux, marquant la cadence d'une voix furieuse:

- Tansyon Chatrou! Gilda sé pa Cheryl!

- Tu sais bien que non, ma chère, protesta Virgile avec toute la conviction qu'il pût trouver.

Et c'était vrai. Le jour où il avait eu l'idée saugrenue de proposer à sa maîtresse éternelle d'ouvrir un salon de coiffure, il n'avait récolté qu'une tape amicale sur la joue, accompagné d'un soupir navré, du genre qu'on accorde aux gamins capricieux. Bon, Gilda était avocate, c'était pas mal non plus. Et la rue Schoelcher valait bien la rue Popincourt.

Sa maîtresse le fixait de l'oil aigu réservé d'ordinaire aux jurés d'Assises, ou aux accusés, selon sa position du moment. Les bus des Abymes vint à point nommé pour éviter à la situation de s'envenimer.

- Mmmoui, fit-elle en pinçant les lèvres pour ne pas de rire.

Puis elle lui caressa le bout du nez et se leva.

- Allez, amuse-toi bien, ti chatrou an mwen.

Gilda traversa la place jusqu'à son cabriolet, du même rouge que son tailleur. Une semaine montre en main, qu'avait mis le Chatrou à peindre la carrosserie à l'identique du vêtement. Ç'aurait été plus simple d'acheter un tailleur à la couleur de la voiture. Oui. Mais ce n'était pas le genre d'argument recevable par maître Gilda Monségur. Awa!

Et puis à Vieux-Morne, quand vient le soir, si la lune n'est pas dans le caniveau, elle est dans la mer des caraïbes. Et là, il n'y a plus rien à dire.

Après que le cabriolet rouge eut disparu, le Chatrou déplia France-Antilles. Au bout de quelques pages il fouilla le sac étanche posé à ses pieds, récupéra sa casquette et s'en coiffa avec méthode. Robert tira une chaise près de lui. Un des anciens les rejoignit.

- Z'affé à Chatrou? demanda le patron de La Baguette

- Z'affé à Chatrou, confirma Virgile.

L'ancien, petit bonhomme en costume bleu pétrole et chapeau mou, ricana dans sa barbe. Robert haussa les épaules.

- Mon cher, poursuivit l'ancien à l'adresse de Virgile, j'avais parié avec notre ami l'artisan pluridisciplinaire que cette gazette te fournirait ce matin matière à réflexion. Ce qui est tout à ton honneur, je tiens à le souligner, tant cette parution est éloignée des choses de l'esprit.

- Siméon, gros malin, coupa Robert, tu vas peut-être nous dire ce qui intéresse le Chatrou, parce que c'est ça l'objet du pari, je te le rappelle.

Siméon rajusta son chapeau, et sans se démonter s'empara du journal, le plia en quatre, le posa sur la table et tapota un article de l'index.

- Exact, fit le Chatrou.

De nouveau Siméon ricana, puis claqua trois petits verres sortis de nulle part. Que Robert remplit à l'aide d'une bouteille sortie de chez Damoiseau -normal dans ce secteur de Guadeloupe.

Il burent leur rhum en silence.

- N'empêche, ne put retenir Robert, je ne vois pas ce qu'il y a d'extraordinaire. Des boufs massacrés dans un champ, c'est triste, mais ça c'est déjà vu.

Siméon et le Chatrou échangèrent un regard entendu, et un soupir compatissant.

Le volet roula en grinçant et le Chatrou entra dans le garage. De la paume il flatta la proue de sa saintoise. D'ici à ce qu'elle navigue, de l'eau passerait sous le pont de la Boucan. Malgré les heures de restauration la coque semblait à peine moins triste qu'au premier jour, quant aux moteurs, l'un n'avait pas d'embase et l'autre plus de cylindres. Mais dans ses rêves le bateau embouquait la Passe à Colas plein gaz, son étrave rouge méprisant la houle. Pourquoi rouge? Allez savoir.

Le Chatrou se dirigea vers l'établi, du panneau d'outillage il décrocha son coutelas. Une machette fabriquée spécialement pour lui à Saint-Domingue par Corneta, son manche extra-plat la rendait invisible sous le tee-shirt Texaco, ou dans la jambe du Lévis.

Il en vérifia le tranchant, un réflexe, puis retourna au ponton.

Là il sauta dans son Bombard et tourna la clef de contact, l'Evinrude craqua à la première sollicitation, c'était la moindre des choses, chacune des ses pièces avait baigné dans le WD 40, si on aime la mécanique elle vous le rend parfois. Le nom de baptême du pneumatique s'étalait sur ses boudins rapiécés, Chatrou la, accompagné d'un poulpe stylisé, au cas où quelqu'un n'aurait pas compris.

Le Chatrou prit un alignement à terre et poussa le levier de commande sans se préoccuper des cayes affleurantes, quand l'alignement va, tout va. Il prit la précaution de tourner sa casquette à l'envers.

Après quelques milles le pneumatique piqua vers la côte puis très vite ralentit. Le Chatrou scrutait la surface, il n'avait pas d'alignements ici, les cayes redevenaient dangereuses.

(...)

Suite tant attendue dans Avès Sotavento dans toutes les bonnes librairies !