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Arrivé au terme de ce mémoire, il convient de dresser un bilan de nos recherches à propos de l'impact de l'Internet sur la profession de bibliothécaire. Un bilan tout ce qu'il y a de provisoire, en forme de photographie d'un paysage encore en pleine évolution, quelque peu embrumé. Sommairement, nous pouvons dire que l'Internet a changé des choses, et qu'il devrait encore en changer beaucoup dans les bibliothèques.

Pour les bibliothèques disposant d'un accès au Réseau, beaucoup de choses ont en effet changé, ou sont en passe de changer.

Le courrier électronique est peut-être l'outil le plus important que procure l'Internet au bibliothécaire. Nous avons détaillé ses caractéristiques et ses qualités. Doté d'une adresse électronique, le professionnel peut correspondre très rapidement et de façon sûre avec ses collègues de France et d'ailleurs. Au quotidien, les listes de diffusion jouent également un grand rôle pour l'évolution de la profession : elles permettent de se tenir au courant, de débattre autour de thèmes particuliers et même parfois de demander de l'aide. Il faut souligner le caractère innovant de ces listes, car auparavant, aucun autre moyen de communication n'avait permis à de simples individus de construire un forum d'échanges, un véritable journal professionnel quotidien.

Le courrier électronique quant à lui n'est pas révolutionnaire en soi, il ne vient pas supplanter tous les autres moyens de communication. Néanmoins, il facilite dans certains cas les échanges, et en permet d'autres, qu'il aurait été beaucoup plus difficile d'établir par des moyens traditionnels.

Le Réseau apporte également une masse considérable de ressources au bibliothécaire. Nous n'avons fait qu'entrevoir les différents types d'informations disponibles. Ces ressources évoluent quotidiennement : de nouvelles apparaissent, certaines disparaissent et la plupart sont tout simplement mises à jour. Ces ressources forment une somme de faits et de connaissances qui pourraient s'apparenter à une nouvelle Encyclopédie, mais d'une nature radicalement différente : alors qu'une encyclopédie, ouvrage fini, propose de faire le tour (cyclo) de certaines questions, les ressources de l'Internet ne sont jamais finies. En perpétuelle expansion, le " cyber-corpus " ne peut ni s'appréhender, ni se refermer. Les ressources sont des pistes qui mènent d'un centre, les serveurs connus, à une périphérie inconnue, les serveurs à découvrir. Ce simple constat peut amener à changer toute la conception du travail bibliothéconomique et de son objet : plutôt que de rassembler en un lieu clos - la bibliothèque - des ouvrages finis, validés, il s'agit sur l'Internet d'explorer à partir de la bibliothèque des zones de savoir.

Ce bouleversement implique une réflexion de la part du bibliothécaire sur ce méta-document hypermédia que représente l'Internet. C'est à lui d'agir sur le Réseau, afin de s'orienter dans la masse de documents très divers, de l'exploiter et de l'intégrer dans son travail quotidien.

Ouvert sémantiquement, l'Internet l'est aussi structurellement : il constitue le support de réseaux de travail, entre institutions ou individus. Nous avons évoqué ces réseaux, au sens plus fonctionnel que technique du terme, qui utilisent les protocoles TCP-IP largement répandus pour regrouper leurs fonds, échanger le fruit de leur travail : Rédoc à Grenoble, Brise à Saint-Etienne...

Outil pour le bibliothécaire, l'Internet peut également devenir un nouvel objet documentaire pour le public. Les nouvelles technologies ont déjà franchi le pas des bibliothèques et des centres de documentation, avec les recherches documentaires en ligne, les réseaux de CD-ROM (...) ; l'Internet est en quelque sorte une nouvelle étape, et tout simplement d'abord un nouveau service documentaire.

Quelques bibliothèques proposent dorénavant à leurs lecteurs des postes de consultation au Réseau. Nous avons vu quels problèmes soulevaient l'ouverture à l'Internet, mais plus que tout, nous pourrions les résumer en rappelant ce constat : l'Internet n'a pas de limites bien définies, à l'inverse d'un catalogue qui recense un fonds physique.

Sans jouer les oracles, on peut affirmer sans crainte que si l'irruption de l'Internet a déjà changé beaucoup pour la profession, cette dernière devrait évoluer plus profondément dans les années à venir.

Tous les exemples pris dans ce mémoire ne sont que des expériences, au regard du long terme, qui devraient révéler les réelles potentialités du Réseau. La profession devrait évoluer principalement sous trois angles.

Pour être maîtrisé, l'Internet demande une certaine connaissance technique du micro-ordinateur et de ses logiciels. La fascination pour les caractéristiques techniques du Réseau doit très vite être dépassée, c'est pour cela qu'au cours de ce mémoire, nous avons très peu parlé des ressources logicielles que l'on pouvait télédécharger. Néanmoins, il est certain que dans ce domaine, le bibliothécaire devra apprendre à utiliser ce nouvel outil, au même titre que l'on apprend à se servir d'index et de répertoires papier. Le champ d'apprentissage devrait donc s'étendre à quelques notions courantes de micro-informatique.

L'objet central du changement sera certainement le matériau même du bibliothécaire : le document. Les documents électroniques ne doivent pas leur existence stricto sensu aux réseaux de télécommunications, ils leurs sont néanmoins liés quant à leur diffusion et leur probable généralisation. Nous avons détaillé leurs caractéristiques et les problèmes qu'ils posaient au bibliothécaire, grand ordonnateur sémantique et physique. En ce qui concerne concrètement le traitement physique et intellectuel des documents électroniques, les choses commencent à bouger dès à présent. Des groupes de travail ont été constitués pour définir dans quelle mesure ces documents pouvaient être appréhendés par les professionnels. Nous avons d'ailleurs souligné qu'en France, aucune prise de conscience de l'ampleur du phénomène n'avait encore eu réellement lieu.

Le dernier point qui pourrait évoluer du fait de l'Internet, peut-être le plus inattendu, concerne le public des bibliothèques, ou plus exactement les attentes des lecteurs envers leurs interlocuteurs bibliothécaires. Jusqu'à présent, ceux-ci étaient responsables d'un fonds thématiquement et géographiquement bien délimité, par exemple le rayon de la chimie au niveau 0. Avec l'accès public à des ressources distantes, la notion de territorialité va perdre son sens, le lecteur pourra chercher un document aussi aisément sur un site américain que sur un service français. L'aire de recherche s'étendant considérablement, les lecteurs attendront des bibliothécaires que leur capacité de renseignement dépasse également le cadre de la bibliothèque. Cette opposition entre fini et infini devrait encore modifier profondément la fonction de médiation du bibliothécaire.

Il convient enfin de s'interroger sur les conditions qui détermineront un développement réussi de l'Internet dans les bibliothèques françaises.

Nous avons évoqué dans la première partie l'apparition de l'Internet dans les laboratoires français. C'est en effet le milieu de la recherche qui a le premier utilisé les réseaux. Les bibliothèques universitaires en ont bien évidemment profité : une fois que les laboratoires étaient connectés, le plus gros du travail était fait, il ne coûtait " plus grand chose " pour connecter les autres services qui le désiraient, dont la bibliothèque. On peut donc dire que les premières bibliothèques connectées ont tiré parti d'une situation que nous avons appelé de " réseau acquis ". Une fois le milieu universitaire connecté, le développement du Réseau va peut-être connaître un ralentissement, en raison des difficultés que connaîtront toutes les autres bibliothèques pour se connecter.

Le premier obstacle au développement de l'Internet sera donc avant tout technique. En ce domaine, nous réaffirmons que l'intervention des pouvoirs publics sera décisive. Un plan d'action doit être mis en route, à défaut de l'avoir déjà été (!), avec la même volonté qui a animé le développement du minitel, et sans les ornières administratives et technologiques du difficile Plan câble. L'effort entrepris avec l'" appel à propositions relatif aux expérimentations des nouveaux services des autoroutes de l'information " doit être suivi de retombées concrètes, et non pas seulement d'expérimentations temporaires.

Mais c'est naturellement vers le bibliothécaire que nous nous tournerons pour finir ce mémoire. En effet, au-delà de tout déterminisme technologique, avant de modifier les comportements, une technique doit être assimilée par les sujets. Et nous avons vu combien étaient nombreuses les embûches sur la route de l'apprenti internaute. Les bibliothécaires seront donc in fine les agents de l'impact réel de l'Internet sur leur profession.


Les bibliothèques virtuelles Bibliographie

©Olivier Roumieux, 1996.
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