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Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
5 septembre 1998
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« Le polar français est une grande famille corse ! »

Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal décrivent avec férocité, au travers de leurs romans et de leur collection respective, nos sociétés débordantes d'inculture crasse et boursouflées de bière tiède. Du rouge de leur vingt ans en mai 1968 au noir du polar français, les lames ont continué à être aiguisées sans pour autant empêcher une amitié qui fait plaisir à voir ! La preuve…



Fabien Piasecki : J.B. Pouy, qui est Patrick Raynal ?
Jean Bernard Pouy : Avant toute chose, c'est un ami. Je le connais depuis vingt ans. Il m'a donné le goût de tout ça. Petit à petit il fait son trou. De lui, j'aimerais dire que c'est d'abord un auteur mais malheureusement à cause de ses fonctions et sa vie débridée, il n'a pas assez le temps d'écrire. A chaque fois qu'un roman de lui est publié, je le regarde avec intérêt parce que j'apprends toujours des choses sur lui et parce qu'en restant dans le même champ d'investigation, il trace toujours plus loin. C'est d'abord mon pote mais c'est un très bon écrivain français. Fenêtre sur femmes et Né de fils inconnu sont de grands romans. Sur la Série noire, il l'a relevée. Je ne sais pas s'il a eu raison, je ne sais pas si c'est grâce aux auteurs mais en tout cas c'est un fait : la Série noire tombait et petit à petit elle revient malgré les mots et les mauvaises pensées internes à la vie parisienne. Lui, Patrick, ça lui brise le moral parce que c'est un grand ou plutôt un gros romantique. Mais quand il craque, il devient extrêmement dangereux. Contrairement à beaucoup de gens, il connaît le voile rouge et l'autre côté des choses.


A votre tour Patrick, qui est Jean Bernard Pouy ?
Patrick Raynal : D'abord, pour moi, c'est une apparition formidable dans un jardin entouré de roses trémières, dans une combinaison orange magnifique. Je l'ai vu et ça a été immédiatement sexuel. Je continue à lui être attaché parce que je n'ai pas pu assouvir le penchant sexuel immédiat que j'ai eu pour lui. Comme maintenant, nous vieillissons l'un et l'autre, il y a de moins en moins de chance que nous passions à l'acte donc il y a de plus en plus de chances que nous restions potes !


Vous avez écrit un livre ensemble La vie duraille.
J.B. Pouy : Un livre, c'est un bien grand mot. En 1985, avec un troisième larron, Daniel Pennac, que nous connaissions bien à l'époque, en plus de toutes nos lettres et activités, nous avions décidé d'écrire un roman tournant pour rigoler, un jeu d'ados attardés de quarante ans et nous l'avons terminé ce qui est rare et pire encore, nous avions dans notre entourage une personne suffisamment folle pour nous éditer. Au départ, c'était vraiment pour le plaisir.


Vous donnez l'impression que le roman noir français est une grande famille, est-ce légitime ?
J.B. Pouy : C'est une grande famille corse !
P. Raynal : Oui, c'est un peu les Atrides c'est-à-dire que c'est "sourire devant" et on affûte les couteaux sous la table. Ca reste une famille moins dangereuse que le reste de la littérature, les enjeux économiques sont moins puissants. Entre collections noires, il y a quand même une atmosphère de camaraderie.
J.B. Pouy : Mais les ego d'auteurs étant puissants…

Plus sérieusement, où en sont vos collections respectives ?
J.B. Pouy : Je n'ai pas de collection ! Je suis embarqué dans une aventure qui est Le Poulpe, et qui me dépasse totalement d'ailleurs. Même si j'en suis à l'origine, il ne m'appartient presque plus. Je lis les manuscrits, ce n'est pas quelque chose que je génère, je n'ai pas de responsabilités inhérentes à cette collection dans le sens où les manières de publier sont complètement différentes de celles de la Série noire. Je ne choisis pas vraiment. Je m'occupe des petites maisons d'édition, parce qu'elles agitent un autre vivier qui un jour arrivera à la Série noire pour un ou deux d'entre eux par an.
P. Raynal : La Série noire se porte 4,6% mieux que l'année dernière mais nous sommes dans une grosse année avec notamment un Izzo (Solea), un Jonquet (Moloch) , dans La Noire un Dantec (Babylon babies) et j'espère un Pouy ! La Série noire se porte bien. Comme le disait Laetitia Bonaparte à son empereur de fils : "Pourvou que ça doure !". Je n'ai pas l'optimisme gigantesque de tous les gens qui créent des collections de polar à l'heure actuelle. Je suis sûr que le roman noir et le polar ont un très grand avenir à l'intérieur de la fiction et de la littérature mais je ne suis pas du tout sûr que ce soit la poule aux œufs d'or sur laquelle beaucoup comptent en ce moment.

Le Poulpe va se retrouver au cinéma en octobre. Qu'en est-il de cette nouvelle aventure commune ?
J.B. Pouy : On nous avait d'abord proposé une série télé du Poulpe mais, nous avions placé la barre très haut financièrement sachant que le résultat serait certainement médiocre. Du coup les chaînes ont laissé tomber. A ce moment là, Gassot est arrivé, il a acheté les droits et comme il voulait un scénario original, j'ai rapatrié Patrick. Guillaume Nicloux est le réalisateur du film, il avait écrit un Poulpe (Le saint des seins). C'est un objet un peu ailleurs et, en même temps, une version supplémentaire du Poulpe, une version cinéma qui n'a pas grand chose à voir avec ce que Patrick ou moi pensons du Poulpe mais avec ce que pense Nicloux du Poulpe. Le champ est différent.
P. Raynal : Inversement à ce que pensait la télévision, le côté "pas correct" du Poulpe intéressait le cinéma. La télé aurait gommé le caractère dur du personnage. Le cinéma, c'est différent. J'attends de voir le résultat.

La télévision est très friande de pseudo-séries policières. Vous êtes beaucoup sollicités ?
P. Raynal : Ceux qui sont tombés dans la télé n'écrivent plus à quelques exceptions près. Jonquet gère ça bien. Il écrit pour la télé pendant un an, ensuite il l'abandonne totalement pour écrire ses romans. Je ne suis pas contre un unitaire, comme celui que nous avons fait avec J.B. il y a quelques années (Arrêt d'urgence) mais une série c'est hors de question !
J.B. Pouy : J'ai tout refusé en bloc depuis dix ans même Navarro c'est dire ! J'ai beaucoup travaillé pour eux avant mais c'est une bande de crétins. J'ai d'autres ambitions : je rêve d'être rédactrice beauté dans un magazine féminin mais pour l'instant, je vis de ma plume, comme dirait Clinton !



[Interview réalisée en février 1998 dans les locaux de la Série noire]