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Comité poulpien : qui se cache derrière ?

Mise à jour :
7 juin 1998


Véronique More et Céline Ridet, étudiantes en Métier du livre, ont réalisé en mars 1998 un fantastique travail sur cette Baleine qui monte.
Voici l'intégralité de leurs recherches.

Le Poulpe jette l'encre

Il était une fois "une baleine qui accouche d'un Poulpe. Une histoire tentaculaire qui ne pouvait s'écrire qu'à l'encre noire et à plusieurs mains… "


UNE MAISON D'ÉDITION TRÈS POLAR
LE POULPE
LE DELUGE
CONCLUSION

Il était une fois "une baleine qui accouche d'un Poulpe. Une histoire tentaculaire qui ne pouvait s'écrire qu'à l'encre noire et à plusieurs mains… "




Une maison d'édition très polar

Le paysage policier français

Nous ne pouvons pas étudier la politique éditoriale d'une maison d'édition comme Baleine sans établir un bref historique du genre policier en France et sans évoquer le paysage éditorial qui l'environne.

  • Qu'est-ce-que le polar ?

    Le roman policier date de la révolution industrielle, de l'accroissement de la population ouvrière et de l'effroi qui en naquit.
    Le genre policier a été un genre très à la mode dans les années 1950 en France et ceci grâce à de grands noms anglo-saxons édités par Duhamel dans la collection Série Noire (créée en 1945 chez Gallimard). Les Chandler, Hammet ou Himes ont fait exploser les ventes de ces livres de gare. Il a fallu attendre les années 1970 pour voir apparaître des auteurs français de qualité ; Jean-Patrick Manchette arrive en 1972 avec L'affaire N'Gusto et relance le roman noir en créant un nouveau concept : l'énigme n'est plus le centre du roman, le discours se politise, le roman policier devient le miroir de la société, c'est ce qu'on appelle le néo-polar. Cette génération d'auteurs comporte de grands noms tels que Jean Vautrin, Siniac ou Frédéric Fajardie (qui crée la collection Sanguine en 1979).
    A la fin des années 1980, les ventes se tassent, régressent, le genre s'essouffle.
    L'arrivée en 1991 de Patrick Raynal à la direction de la Série Noire dope les chiffres. En effet, Raynal, qui fait partie de la nouvelle génération de polardeux, donne un nouveau ton à la Série. Il lance La Noire, collection brochée, négatif de La Blanche, il élève ainsi le roman policier au rang de la littérature et part à la recherche de jeunes auteurs (mais sans prendre trop de risques, en général sur les conseils de ses amis- cf. Maurice G. Dantec, ce petit “jeune” qui monte a été chaudement recommandé à Raynal par Jean-Bernard Pouy). Mais Raynal ouvre surtout les portes de sa collection à l'internationalisation (Montalban, Paco Ignacio Taibo II, Rolo Diez, Cesare Battisti, etc.).
    Le polar, en France, est un genre à part ce qui, d'un côté le sauve et de l'autre le classe en sous-littérature, en littérature de gare, idée très chère à Jean-Bernard Pouy.
    Depuis les années 1970, l'énigme est passée en second plan, les héros récurrents ont disparu des romans, l'action se déroule dans des cités HLM, autour de situations politiques douteuses (cf. Mort au premier tour de Daeninckx ). Le roman policier est donc avant tout le reflet d'une époque, le miroir d'une société qui y projette ses peurs et ses fantasmes.

  • Paysage éditorial actuel

    La perte de vitesse des années 1980 est de courte durée. L'arrivée d'auteurs comme Daeninckx, Vilar, Pennac, Quadruppani, LeCorre, Izzo, ou Picouly, qui jettent un regard lucide sur la société et ses tares, relance rapidement les ventes, cependant les chiffres n'ont jamais atteint à nouveau ceux des années 1950-60.
    De nombreuses collections voient le jour depuis 1992-3, notamment des collections pour enfants (chez Actes Sud, Syros...), de nouvelles maisons d'édition arrivent sur le marché, telles que Rivages / Noir ou Baleine. Actuellement, on compte près d'une vingtaine d'éditeurs qui ont une place significative sur le marché du roman policier, sur 55 collections recensées par Livres Hebdo.

    Les tendances actuelles du roman policier :
    · Un goût pour les “oeuvres complètes” : cf. la collection Bouquins (tout Conan Doyle, Maurice Leblanc…)
    · Développement du polar à caractère historique (cf. le succès du Nom de la rose et des romans parus chez 10-18 dans la collection Grands détectives)
    · Retour des héros avec le moine Cadfael de Ellis Peter ou les chats détectives Yoko et Yom de L. Jackson Braun (collection Grands Détectives, 10-18) et Le Poulpe bien sûr ! 
    · Les ventes demeurent importantes.
    · Nombreux auteurs qui sont passés du “drapeau rouge au roman noir”
    · Féminisation du genre

    Ce monde est un monde de “ potes ”, tous les auteurs de policiers se connaissent et se côtoient volontiers ; il règne une ambiance très particulière autour de ce genre littéraire. Jean-Bernard Pouy a créé le personnage du Poulpe avec l'aide de Serge Quadruppani et de Patrick Raynal (directeurs de collections “ concurrentes ”). Franck Pavloff écrit pour Baleine alors qu'il est directeur (ou ex ?) de collection chez Syros, Cesare Battisti passe de la Série Noire à Baleine et retourne à la Série Noire, même va-et-vient pour François Joly et l'on pourrait continuer longtemps comme cela. En fait, le monde des auteurs de romans policiers est un petit monde, la concurrence entre les maisons existe peu (de toute façon, la Série Noire règne en maître depuis plus de cinquante ans), les auteurs de la génération de Pouy sont à la recherche des nouveaux, ils savent donc faire preuve de générosité et d'ouverture.
    Patrick Raynal axe plus sa politique sur des polars internationaux de qualité, il prend rarement de risques avec de jeunes auteurs non patentés (la Série Noire en a pourtant les moyens !). Une des caractéristiques de la maison Baleine est la recherche de nouveaux auteurs, le but de Jean-Bernard Pouy étant de repérer les bons auteurs de demain, parfois d'ailleurs au détriment de la qualité.
    Comment une petite maison d'édition comme Baleine parvient-elle à être repérée au milieu de la forte production de romans policiers du moment ?

    Une baleine dans le Noir

  • Fiche d'identité

    La maison d'édition Baleine a été créée en octobre 1995 par Hélène Bihéry et Antoine de Kerversau (qui a hypothéqué sa maison pour Baleine et le Poulpe) sous l'impulsion de Jean Bernard Pouy, créateur du Poulpe. Ils ont actuellement environ 110 titres au catalogue (90 fin 1997). Toutes leurs collections sont en format poche (11,4x17,5). Leur spécialité est donc le roman policier.
    Baleine édite quatre nouveautés par mois, l'objectif de départ était de deux titres par mois, les titres sont tirés en moyenne entre 6 000 et 10 000 exemplaires toutes collections confondues, entre 12 000 et 15 000 pour Le Poulpe, 20 000 pour les meilleures ventes, 40 000 pour le premier, La petite écuyère a cafté de Jean-Bernard Pouy

    Baleine ne publie que des nouveautés, phénomène assez rare dans le paysage éditorial français. En général les nouvelles maisons d'édition éditent des auteurs du domaine public, ce qui leur assurent un fonds à frais et risques réduits. Les éditions Baleine prennent donc des risques, d'une part en publiant des nouveautés et d'autre part en publiant beaucoup de jeunes auteurs (sept auteurs sur dix sont inconnus, au moins 28 auteurs de premier roman dans la collection Le Poulpe sur 70). C'est la maison d'édition la plus représentée au Festival du premier roman de Chambéry cette année : 12 premiers romans (dont 7 Poulpe) contre 9 romans pour Gallimard ou 4 pour Denoël, par exemple.

  • Les collections

    La numérotation des romans ne se fait pas par collection, elle est continue. Ainsi, les numéros 1 et 2 sont des Poulpe, le numéro 3 est un Instantanés de Polar. Par contre, la nouvelle collection Macno est numérotée à part.

    · Instantanés de Polar, des livres incisifs et radicaux (cf. le titre phare de la collection en ce moment Morituri de Yasmina Khadra).
    · Canaille Revolver, une collection née grâce au rachat de la maison d'édition de Jean-Jacques Reboux : Canaille. Reboux avait créé cette maison car il ne trouvait pas à se faire éditer. Baleine le rachète dès la fin 1995.
    · En septembre 1997, les éditions Baleine lancent Tourisme et Polar, une collection qui comporte quatre titres et qui ne marche pas très bien. Quand ces livres sont arrivés en librairie, les clients pensaient que c'étaient les catalogues de la maison d'édition et les mettaient dans leur sac ! Ce sont des ouvrages au même format que ceux des autres collections (à savoir 11,5x17,6) d'une quarantaine de pages maximum.
    · Lancement en février 1998 de Macno, machine intelligente, héros de cette collection de science-fiction, ses aventures se dérouleront en l'an 2068, 100 ans après les événements de mai 1968 ! Le principe est le même que celui du Poulpe : un auteur différent à chaque histoire. Le premier "épisode" est signé Ayerdhal.
    · Le Poulpe, collection de policiers au format de poche, à prix réduit (39 francs) : une collection de romans noirs populaires, sur le principe de feuilleton.
    · Les femmes, de plus en plus nombreuses dans le milieu du roman policier, écrivent dans une sorte de “sous-collection” qui s'appelle Cheryl & Le Poulpe et qui met en scène la fiancée de Gabriel Lecouvreur. Le premier Cheryl & Le Poulpe est sorti en septembre 1996 : Les damnés de l'artère de Pascale Fonteneau (n°27, suivi de Comme un coq en plâtre de Sylvie Granotier). Aucune femme ne s'est encore appropriée le personnage du Poulpe, par contre un homme a choisi de faire évoluer Cheryl : Jean-Luc Poisson pour Le chien des bas serviles, n°79.

    ==>Les projets de collections :

    • En mars 1998 : Le Furet, sorte de Poulpe pour adolescents. Apparemment le personnage se déclinera comme celui du Poulpe : un personnage créé que les auteurs s'approprieront le temps d'un livre. Jean-Hugues Oppel écrira certainement l'un des premiers. Franck Pavloff, (ex?)-directeur de la collection Souris Noire chez Syros lance une collection semblable pour l'automne 1998 : Le Fennec, qui sortira chez Albin Michel (ou chez Syros. Nos sources ne sont pas concordantes sur ce point).
    • Courant 1998, création d'une collection "à l'eau de rose" : Velours. Mais dans une maison qui n'édite que du roman policier il faut s'attendre à tout...

    Le poulpe

    Il s'agit de réhabiliter un genre tombé aux oubliettes, la littérature populaire ou littérature de gare. Il y eut Arsène Lupin et Rouletabille. Malgré des tentatives isolées, la tradition littéraire des héros populaires semblait éteinte en France. Arrive alors le Poulpe, personnage sans maître… libertaire n'appartenant à aucun auteur particulier…

    Historique

  • La genèse : une conversation de bistrot qui a mal tourné.

    “C'est le constat du déclin de la littérature populaire qui a tout déclenché. Aujourd'hui, dans les gares, vous trouvez, en fait de polars, le bas de gamme le plus exécrable : SAS ou l'Exécuteur… A l'époque des gros tirages, ce qui faisait des titres de la Série Noire une véritable collection populaire, c'est qu'ils étaient lus dans le train en l'espace de trois heures par des militaires aussi bien que par des PDG. C'est cet esprit là que nous voulions retrouver. Parce que nous sentions bien que tout le monde regrettait Vidocq et Arsène Lupin. Parce que le succès de Navarro ou Julie Lescaut à la télévision crevait les yeux. Le déclic, ce fut le déferlement suscité par Pulp Fiction, le film de Tarantino. Nous aussi nous allions remettre les pulps au goût du jour. A la française. En créant une série de romans noirs populaires dont le héros s'appellerait… le Poulpe, évidemment !”
    Il a été conçu lors d'un dîner particulièrement arrosé, par quelques auteurs de polars, notamment Patrick Raynal et Serge Quadruppani, en plein cinquantenaire de la Série Noire. Ils imaginent alors une vraie collection populaire, donc à bas prix, en essayant, autant que possible, de damer le pion à SAS et l'Exécuteur. Il s'agit de réhabiliter un genre tombé aux oubliettes, la littérature populaire.
    En septembre 1995, Jean-Bernard Pouy rencontre Antoine de Kervauson, éditeur d'Atelier Alpha Bleue, qui vient de lancer les éditions Baleine et lui soumet son projet révolutionnaire : l'idée d'un personnage de polar qui serait chaque fois traité par un auteur différent. On cherche alors un nom à ce héros. Pouy pense justement aux pulps américains, livres de poche imprimés sur papier bon marché. Dans les années 30, des auteurs comme Hammett ou Chandler y ont fait leur premières armes. Le pulp se mue donc en Poulpe, de son vrai nom Gabriel Lecouvreur.
    Le premier travail de Jean-Bernard Pouy, directeur de la future collection, consiste à rédiger la "bible" du personnage, document qui sera alimenté par Raynal, Quadruppani, Daeninckx et Battisti. Le Poulpe vient de naître.

  • La "Bible"

    Il fallait une bible pour dessiner ce personnage récurrent et lui attacher les lecteurs. Celle-ci fait quatre pages et est envoyée à tous les auteurs potentiels et à ceux qui en font la demande poliment au directeur de collection (!!).
    La “bible” est le mode d'emploi du Poulpe. Il y est dit : “Le Poulpe est un personnage contemporain. C'est un héros populaire qui aura 40 ans en l'an 2000. Il va se trouver mêlé à des histoires actuelles, prégnantes, celles sur qui nous avons un éclairage à donner, à préciser, celles où un autre témoignage, le nôtre, est utile.” Les aventures du Poulpe se veulent donc une émanation de la société française de la fin du siècle, marquée par le caractère libertaire du héros. “Le personnage est grosso-modo libertaire, du moins progressiste, antifasciste. Mais il ne s'agira pas de faire du prêchi-prêcha, ni de coller à une quelconque chapelle politique. C'est dans son comportement et dans le choix de ses opposants que l'on verra la teneur de son engagement général.” La règle veut aussi que le titre jeu de mots crée une certaine distanciation.
    Le Poulpe, né le 22 mars 1960, est donc un costaud de presque deux mètres de haut, un peu ombrageux, avec des bras d'une longueur anormale, d'où son surnom. Il a fait la fac mais "ses connaissances doivent beaucoup à ses qualités d'arpenteur des villes". S'ajoutent à cela deux ou trois choses qui favorisent ses activités peu officielles d'investigation : un passage en bataillon disciplinaire, après l'attaque d'une librairie d'extrême-droite, lui a appris le maniement des armes; il affectionne l'art du déguisement et de l'usurpation d'identité; enfin son vieil ami Pedro, vieil imprimeur catalan et anarchiste, le fournit en faux papiers et en armes…
    A chaque aventure, donc, le Poulpe réagit à un fait divers dégoté dans une gazette, qu'il lit au bistrot “Au pied de porc à la Sainte-Scolasse", dans le XIe (parce-que c'est l'arrondissement où il n'y a aucun monument historique), avec le sentiment que la vérité reste à découvrir. Il se lance donc à l'aventure, “l'aventure de cet homme lancé à la recherche de la vérité dissimulée”, selon la définition que Chandler donnait du roman noir. Son parcours le confronte à ses ennemis habituels (la police, l'Etat, le racisme, les affairistes, les fascistes, les intégristes, le nucléaire…), mais aussi à quelques bouts de France profonde. Il quitte alors son univers : son bistrot, son hôtel et son amie Cheryl, coiffeuse dans le même quartier.
    D'autres éléments récurrents renforcent la cohérence de la série : Gabriel possède une épave de Polikarpov, l'avion des Républicains pendant la guerre d'Espagne. Il ne boit que de la bière, jamais de vin.
    Voici donc les contraintes imposées par la “bible” du personnage, à laquelle ont participé Pouy, Raynal, Quadruppani, aux auteurs présumés. Une fois la Bible respectée, tous les manuscrits sont acceptés. Chaque auteur suit cette trame mais livre sa propre version du Poulpe.

    L'univers

  • Un mode de fonctionnement tentaculaire

    Hormis le caractère typé du héros, témoin actif de notre époque, la grande originalité de l'entreprise lancée par Pouy avec l'aide de Raynal et de Quadruppani réside dans un pari : après avoir écrit la première aventure, le créateur lâche la bride à son héros et le confie pour la suite à un auteur chaque fois différent. On trouve donc côte à côte des habitués du polar (Delteil, Vilar, Raynal, Quadruppani, Daeninckx…), de jeunes auteurs doués (Reboux, Pavloff, Dessaint…), un spécialiste du genre côté essai (Mesplède) et des auteus inattendus venus d'autres horizons (les journalistes Lefort, Cardoze, les cinéastes Vecchiali et Goupil, le psychanalyste Dadoun…).
    L'idée est de renouer avec une littérature populaire de qualité. Lancer une collection qui accueille des auteurs de polars, mais aussi élargir le cercle des " amis ", des amateurs, en bref découvrir de nouveaux auteurs, les futurs auteurs de polars français. Pari réussi puisque de nombreux jeunes auteurs ont réussi à se faire éditer dans d'autres maisons grâce à leur passage chez Baleine.

    L'aventure est donc de confier chaque volume aussi bien à des auteurs confirmés qu'à d'autres dont on commence à parler (Olivier Thiébault, Pascale Fonteneau…) ou moins connus (Claude Mesplède, Jean-Christophe Pinpin…).
    Au départ, il n'y avait qu'une poignée d'auteurs, à peu près de la même génération, qui ont commencé à écrire et à mettre dans le Poulpe ce qui les touchaient. Ils étaient partis pour en faire 10. Part contre, la collection, en cas de succès, était assortie d'une condition : offrir la possibilité à de jeunes auteurs d'y faire leurs premières armes, jeunes qui ne partagent pas le même passé que la vieille (pas si vieille) garde. Le but était qu'ils s'emparent du personnage, ce qu'ils ont fait très vite. C'est en effet chez Baleine que les jeunes auteurs ont envie d'être publiés. La boucle est ainsi bouclée (une collection créée pour découvrir des nouveaux auteurs ; les mêmes nouveaux auteurs qui veulent écrire leur Poulpe ).
    Justicier fin de siècle luttant contre le fascisme rampant et la corruption galopante, le Poulpe s'inscrit dans la lignée des héros de romans populaires de la fin du XIXe. Il s'agit de revenir à l'esprit du roman-feuilleton du début du siècle, où l'action du justicier était surtout l'affaire de tous, “convoquant les plumes comme autant de fusils destinés à intensifier le feu contre l'ennemi.”

  • L'esprit du Poulpe

    “Dès le début, explique Jean-Bernard Pouy, nous avons voulu un héros “de gauche”. Pour Pouy, le Poulpe “ressemblera systématiquement à ce que les auteurs en feront”. Or, on dit que 80% des auteurs de polar sont de gauche ou d'extrême gauche.

    Tous les auteurs sont issus de la gauche voire de l'extrême gauche. C'est une sorte de label quasi obligatoire pour écrire un Poulpe. Pour l'anecdote, Gilles Dauvé a envoyé un manuscrit à Pouy pour le faire publier, avec l'aide de Sege Quadruppani. Or, son passé et ses écrits ne correspondent pas tout à fait à la ligne éditoriale de la collection du Poulpe : Gilles Dauvé a en effet collaboré à La Vieille Taupe, librairie d'extrême gauche dans les années 70 qui s'est retrouvée au début des années 80 à publier notamment les écrits de Faurisson niant l'existence des chambres à gaz et ceux de Garaudi plus récemment.
    A ce propos, l'extrême politisation du monde du polar en général et de la collection du Poulpe en particulier a entraîné une "guerre" d'intentions entre différents auteurs de polars. Daeninckx ayant pris parti contre Gilles Dauvé et donc contre Quadruppani (qu'on accuse également d'avoir viré à l'extrême inverse), deux camps se sont dessinés à l'intérieur de la famille policière : les pro-Quadruppani contre les pro-Daeninckx.

    Le champ d'action du Poulpe est large. Il se confond avec notre quotidien et notre actualité : commandos anti-IVG, affaires immobilières, corruption, alliance entre “bruns” et “rouges”, intégrisme, les lois Debré… Lors du salon du livre de Paris, édition 1997, Baleine a distribué gratuitement une nouvelle collective, non signée, qui porte le titre de Deuxième Debré" (nouvelle insérée dans le catalogue des éditions). L'objet de la révolte du Poulpe canalise nombre de préoccupations d'une partie de la génération actuelle : la montée de l'extrême droite, la corruption politique… D'où son succès.

    Le déluge

    Un phénomène !…

    Dès les premiers titres, le succès est au rendez-vous, transformant la plaisanterie en un véritable succès de librairie, et bientôt un phénomène éditorial, voire un phénomène de société. Les libraires sont séduits, la critique aussi.
    Après deux ans d'existence, la série occupe une place bien visible dans les étals des libraires et commence à occuper ses propres rayons. Elle compte déjà 70 volumes et a créé l'événement dans les médias mais surtout dans le public puisque les moyennes des ventes se situe entre 8 000 et 10 000, avec des pointes à 20 000 et 30 000 pour les auteurs les plus connus, et auprès des écrivains puisque les publications sont prévues jusqu'en 2 002 (Pouy reçoit une quantité de coup de fil de personnes qui veulent faire un Poulpe).

    Palmarès des ventes :
    La petite écuyère a cafté, Pouy : 40 000 ex – Prix Paul Féval 96
    Nazis dans le métro, Daeninckx : 35 000 ex – retiré des bibliothèques d'Orange
    Arrêtez le carrelage, Raynal : 20 000 ex
    Vomi soit qui malle y pense, Lefort : 19 000 ex en deux mois

    Chiffres globaux :
    En un an (oct. 95 – oct. 96), par le département livres Harmonia Mundi, Baleine a écoulé 300 000 volumes du Poulpe(500 000 en juillet 1997), à raison de deux titres par mois. Chacun d'eux, tiré à plus de 15 000 exemplaires, est distribué dans quelques 170 points de vente. Depuis, la collection s'est enrichie d'une cinquantaine de titres, cette fois à raison de quatre par mois. Les points de vente se sont multipliés, et le Poulpe est maintenant disponible en Librio noir (livres à 10 francs) et donc en grande distribution, qui lui était, malgré le succès, encore fermée jusque-là (notamment dans les bibliothèques de gare de Hachette – un comble pour une série qui veut renouveller la littérature… de gare justement !).
    La maison d'édition Baleine a d'ailleurs été débordée par son succès. Aucune PLV n'avait été prévue, le catalogue n'a pas été tiré à assez grand nombre, il est presque épuisé.

    Une collection qui fait vivre la maison :
    La confortable rente que procure Le Poulpe à Baleine est vite utilisée. Des projets qui leur tenaient à cœur ont ainsi pu être réalisés. Ainsi, deux autres collections ont été lancées, quelques semaines après le premier Poulpe (Canaille-Revolver et Instantanés de Polar, puis Tourisme et polar, Macno et d'autres projets en préparation).

    Un phénomène de société :
    un film pour septembre 98 adapté d'un scénario original de Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal (directeur de la Série Noire, auteur de romans policiers, du n°4 des éditions Baleine, ami de J-B Pouy et créateur du personnage aussi) réalisé par Guillaume Nicloux (auteur de Le saint des seins dans cette même collection) avec Jean-Pierre Daroussin dans le rôle titre
    un site internet créé par le comité poulpien (deux jeunes bibliothécaires parisiens, Florence Zanier et Olivier Roumieux) qui reçoit de plus en plus de visiteurs.
    un mémoire de maîtrise en cours
    de nombreux articles dans la presse
    de nombreux projets similaires en cours dans d'autres maisons: @lias chez Fleuve Noir, génie du mal, réfractaire social absolu, pirate informatique, partisan du chaos, fait son apparition au printemps… avec Serge Quadrupanni pour directeur de collection ; un projet chez Syros ou Albin Michel (?) : Le Fennec ou les aventures, dans une marginalité positive, d'un jeune garçon qui sillonne, en compagnie de son oncle et de sa tante, les routes et l'époque avec une caravane…).
    Le Poulpe s'engage également dans la vie civile : Il signe un tract avec les marcheurs contre le chômage et il signe l'appel “Nous sommes la gauche” sous le nom de Gabriel Lecouvreur…

    Désormais les libraires ne parlent plus des éditions Baleine mais des éditions du Poulpe.

    … qui s'essoufle ?

    Le Poulpe c'est souvent des histoires rapides et prenantes, avec des dialogues nerveux et jubilatoires. " Le concept du Poulpe est arrivé à un moment où les gens avaient besoin d'un héros. Ce qui explique sans doute en partie son succès ".
    Cependant l'état de grâce n'est pas éternel. Depuis quelques mois, l'enthousiasme du public s'est émoussé. On reproche notamment à la série d'utiliser toujours les mêmes ficelles. Les derniers titres auraient tendance à s'enliser " dans une sorte de consensus jospinien ". D'autre part, les thèmes sont trop récurrents (violences skin-head, complot néo-nazi…). La cadence de sortie des titres (trois à quatre par mois, au lieu des deux initialement prévu) et une certaine similitude dans le déroulement des histoires finissent par lasser. Surtout quand la qualité littéraire et stylistique et l'intérêt du sujet abordé ne sont pas au rendez-vous. Pour Pascale Fonteneau et Mano Gentil, le Poulpe est un travail d'écrivain plaisant, mais elles conviennent que le synopsis est pré-mâché.
    De plus, l'extrême diversité des auteurs, de leur univers, de leur style, si elle réserve d'heureuses surprises (Lefort…), confère aussi à la série un intérêt inégal. Certains auteurs ont tendance à transformer l'aventurier réfractaire en un redresseur de torts, l'idéologique prenant le pas sur le style et le romanesque. Il y a ainsi une focalisation sur les fasco-skin qui tend à occulter le reste des maux de notre époque et produit à terme un phénomène de ressassement.
    Cette même variété des styles n'a pas empêché une pointe de conformisme de s'infiltrer dans le traitement des intrigues. De plus, le format, 150 pages, entraîne une certaine minceur des intrigues, l'écriture parfois hâtive et la grossièreté du trait. Par exemple, le Poulpe de Battisti a été réduit de 50 pages. Une telle coupe franche ne peut qu'appauvrir l'énigme… L'auteur en convient.
    Pouy confesse d'ailleurs " tous les Poulpes ne sont pas des chefs d'œuvre. Mais, ce n'est pas fait pour. On voulait faire de la littérature populaire de qualité, rameuter un peu et de faire des textes combatifs qui ne soient pas uniquement considérés d'un point de vue littéraire, et c'est la loi du genre. Il y a effectivement une certaine saturation... Mêmes les fans, qui connaissent parfaitement tous les ressorts, ne sont plus surpris et deviennent de plus en plus exigeants". La faute à qui ? "Tous les manuscrits sont acceptés, une fois l'intrigue proposée". Le Poulpe est une série tolérante, Jean-Bernard Pouy est souvent qualifié de généreux (Gérard Lefort sur France-Inter le 13 février 1998, Franck Pavloff etc...)

    Après le réquisitoire, il faut admettre que Baleine en général et la collection du Poulpe en particulier cherchent constamment à se renouveler, ne serait-ce que du point de vue de la forme.
    En effet, pour se relancer, Baleine a édité des coffrets pour les fêtes, a sorti trois Poulpes en bandes dessinées. La maison d'édition élargit également son public grâce à la vente des droits à Librio.


    CONCLUSION
    Ce retour du roman feuilletonesque mais littéraire correspond à une attente… Lorsqu'il a lancé il y a deux ans avec quelques amis la collection du Poulpe, Jean-Bernard Pouy était loin de se douter que l'idée allait devenir un phénomène d'édition et presque de société. Non pas tant par les tirages, quoique, que par le symptôme que révèle cet inattendu succès : celui de romans populaires engagés, bon marché et bon esprit, reflétant les problèmes de cette fin de siècle à travers les pérégrinations d'un antihéros libertaire, le Poulpe, redresseur de torts et de coups tordus, marginal, justicier sans armes mais très concerné par le monde qui l'entoure.
    C'est à partir du constat que le roman populaire – de gare – disparaissait peu à peu des kiosques – hormis le bas de gamme – que Pouy a décidé de réagir : “Face à SAS, je trouvais anormal qu'il n'existe pas de polar d'extrême-gauche. Loin de nous l'idée de rivaliser avec eux. On n'a pas de visée impérialiste sur l'édition. On fait ça pour s'amuser et aussi pour participer au front anti-Front…”. À ce propos, tout le monde n'a pas apprécié le teneur très engagé de certains titres. Par exemple, Nazis dans le métro de Didier Daeninckx a été interdit à la bibliothèque d'Orange.
    La série est aussi sociologiquement marquée par ses auteurs, de vieux routiers du roman noir, mais aussi des débutants dans le genre. On trouve des cinéastes, des psys, des écrivains, des journalistes et pour beaucoup, c'est un premier roman.
    En bref, les concepteurs du Poulpe ont ouvert une voie. Les moyens financiers affluent. Les éditions de la Baleine deviennent une valeur sûre de l'édition.
    Pour l'avenir, Pouy se réserve l'épisode final (il dérogera donc à la bible qu'il a lui même conçu). Gabriel s'envolera à bord de son Polikarpov I-16 enfin réparé vers de nouvelles aventures…