fréquentation et audience

vers une juste mesure

olivier roumieux - mai 2001 (Archimag)

Embarras du choix, flou artistique autour du vocabulaire employé, popularité artificiellement construite du jour au lendemain, le domaine de la mesure de la fréquentation et de l'audience peut se révéler une véritable jungle. Un certain ordre commence néanmoins à apparaître.

La guerre de l'Audimat n'est plus l'apanage des grands groupes de communication audiovisuelle, elle est désormais accessible à tout un chacun sur l'Internet. Que l'on dispose d'un site professionnel à vocation commerciale, ou d'une page personnelle rétablissant la vérité à propos de la disparition des dinosaures, tout le monde est en droit de connaître son public, voire de le surveiller. En effet, certains outils de mesure proposent des versions gratuites qu'il est très facile d'installer sur ses propres pages, même si celles-ci sont stockées chez un hébergeur gratuit.
Avant de publier des communiqués victorieux, mieux vaut éviter le ridicule en sachant un minimum de quoi l'on parle. Audience ou fréquentation ? Le Centre d'étude des supports de publicité (CESP) a réalisé un travail intéressant de déchiffrage terminologique.

navigation sincère ou adaptée

La mesure de l'audience dénombre les internautes et décrit leur comportement, à partir de sondages réalisés auprès d'utilisateurs. On qualifie d'ailleurs cette approche qualitative de "user-centric", centrée sur l'usager. Ce dernier accepte d'installer sur son micro-ordinateur un logiciel de surveillance de sa navigation. Au final, une enquête permet de déterminer de grandes catégories d'usagers ainsi que des comportements-types, toutes choses dont raffolent les agences de communication. Petit bémol de ce type de mesure, l'internaute se sachant surveillé, se comporte-t-il réellement comme s'il était seul, ou bien adapte-t-il sa navigation à un modèle social ? En outre, si vous êtes le spécialiste des dinosaures, oubliez tout de suite ces méthodes, puisqu'une enquête réalisée par l'une des trois sociétés du secteur, Netvalue, MMXI ou Médiamétrie, peut coûter entre 120 000 et 250 000 francs (1).
La mesure de la fréquentation est appelée "site centric", centrée sur le site, puisqu'elle s'attache à dénombrer des connexions d'internautes, sans préjuger de la nature de ces derniers. Et là nous touchons l'indicible puissance du verbe. Car jusqu'aux définitions du CESP, tous les moyens étaient bons pour favoriser l'inflation de connexions. Selon l'organisme, le nombre de "pages vues" représente le " nombre de fois où une page est totalement téléchargée sur la machine de l'utilisateur. " Une "visite" est un " ensemble de pages vues sur un même site au cours d'une même session ", étant entendu " qu'une absence de consultation de nouvelles pages sur ce site dans un délai excédant trente minutes vaut pour fin de la visite. " Enfin, un "visiteur" est un " individu qui consulte un même site au cours d'une période définie ". Le nombre de visiteurs tenant compte des visites successives, il est forcément inférieur au nombre de visites.

mesure à la source

Techniquement, deux technologies s'affrontent pour mesure la fréquentation. La première s'appuie sur les "logs" des serveurs web, des petits fichiers qui relatent méticuleusement toute l'activité des serveurs. La mesure est ainsi prise à la source, ce qui a priori constitue un garant de fiabilité et d'exhaustivité : les logs ne comptabilisent pas que les pages HTML (Hypertext markup language), mais également tous ses éléments constitutifs (images, sons, vidéos, animations Flash…). La traçabilité des visites (parcours, identifiant d'un visiteur…) est assurée par un fichier "cookie" déposé sur la machine de l'internaute. Cette richesse statistique se paie malheureusement par une certaine complexité d'exploitation des données, même si les outils de ce type se dotent progressivement d'interfaces graphiques. En outre, cette technologie comporte un talon d'Achille : puisque les statistiques sont établies à partir de l'activité du serveur, celles-ci ne peuvent prendre en compte les pages qui ont été lues à partir de proxies de fournisseurs d'accès ou de caches de micro-ordinateurs. Les caches et les proxies sont des serveurs intermédiaires qui gardent en mémoire les pages les plus fréquenter pour éviter que l'internaute n'ait à se connecter à la source à chaque fois et accélérer les transactions.
L'autre technologie, dite des " marqueurs " consiste à contourner ce problème en installant le dispositif de mesure sur toutes les pages d'un site, où qu'il soit hébergés, sous la forme d'une petite image. Dans le cas d'une utilisation payante, l'image sera invisible, mais la plupart des éditeurs proposent une version gratuite de leur outil dans laquelle le marqueur représente leur logo. Le marquage est assuré par un code Javascript indépendant du fichier HTML sur lequel on l'installe, ce qui permet d'équiper un site complet relativement rapidement à partir de "copier-coller" du même code. Ce dernier force le télédéchargement du marqueur pour parer à l'écueil rencontré dans la technologie précédente. L'étude des marqueurs permet de dégager des analyses sur trois niveaux : la page, le site, mais également le niveau intermédiaire de la rubrique, un ensemble de pages défini par l'utilisateur inscrit. On obtient ainsi des données quantitatives sur les visiteurs, les visites, les pages vues. La plupart des outils vont aujourd'hui plus loin en analysant les pages d'entrée et de sortie du site (ce qui permet de connaître les "favoris" choisis par les internautes), la durée de visite, ainsi que les référents qui amènent du trafic : autres sites, annuaires et moteurs de recherche. Dans le cas des outils de recherche, la liste des mots clés les plus fréquemment utilisés pour trouver le site sont même affichés !

aberrations statistiques

Reste que la mesure d'audience et de fréquentation est encore une question très polémique, du fait des enjeux qu'elle soulève. Car qui dit audience dit évidemment coût des espaces publicitaires. Chaque technologie a suscité quelques jolies aberrations statistiques. Alors que les approches "user centric" et "site centric" sont reconnues complémentaires par la plupart des sites leaders, les plus belles batailles se jouent dans chacun des camps technologiques. Du côté panels, la France comptait ainsi en décembre dernier 4,5 millions d'internautes selon Médiamétrie contre 6,8 millions pour son concurrent NetValue (2). L'internaute de l'un n'étant pas le même que celui de l'autre. Les systèmes à base de marqueurs connaissent également leurs vicissitudes et il suffit pour s'en convaincre d'installer deux systèmes concurrents sur ses pages. Un désordre qui fait d'autant mieux ressortir tout l'intérêt de la démarche de Diffusion Contrôle. L'organisme vient en effet de labelliser sept outils de mesure qui pourront désormais être utilisés par les éditeurs qui souhaitent faire certifier leurs chiffres de fréquentation.

(1) La mesure de fréquentation des sites Internet : Guide pratique / Groupement français de l'industrie de l'information (GFII), groupe de travail "Mesure de fréquentation des sites Internet". - Paris : GFII, 2000.
(2) Florent Latrive, " 100 % des internautes se sont connectés au Net ", Libération, 22 février 2001.

- Olivier Roumieux, page créée le 1er juillet 2001 -

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