Système universitaire
Lentement mais sûrement, la coopération avance dans le milieu des bibliothèques universitaires. Son arme ? Le Système universitaire de documentation (SU), un réseau partagé de catalogage et de prêt entre bibliothèques (PEB). Lentement, car le projet remonte à 1992. Sûrement, puisque depuis avril dernier, la base est consultable librement sur Internet. Ouvrages, titres de périodiques ou thèses, ce sont au total plus de 4,3 millions de notices qui sont disponibles gratuitement à tout internaute lambda muni d'un navigateur récent. Pour tous ceux qui passent leurs journées à cataloguer, l'importance et la pertinence de le faire en réseau n'est plus à démontrer : le travail n'est plus recommencé dans chaque bibliothèque, chacun profite et enrichit la base commune. Pour peu que chacun abaisse ses prétentions catalographiques et accepte d'adopter un format commun, éventuellement réducteur par rapport à son contexte de travail. Pour les autres, par exemple les étudiants, il suffira de leur expliquer qu'ils ont désormais à portée de clic un gigantesque catalogue de monographies, de périodiques et de thèses, avec leur localisation, c'est-à-dire la bibliothèque dans laquelle ils pourront consulter, voire emprunter le volume tant recherché.
trois "réservoirs de notices"
Le projet a été initié en 1992 par la sous-direction des bibliothèques au ministère chargé de l'Enseignement supérieur, dans le cadre du nouveau schéma directeur informatique du réseau des bibliothèques universitaires. Il est aujourd'hui géré par l'Abes (Agence bibliographique de l'enseignement supérieur). Ce système, concrétisé sous la forme d'un nouveau dispositif informatique, a pour principales fonctionnalités un catalogue collectif (consultation et catalogage), un service de fourniture de documents à distance (prêt entre bibliothèques), un service d'accès aux documents électroniques et un répertoire des centres de ressources.
Le catalogue est le successeur d'un système coopératif bien connu des bibliothécaires sous le nom de Pancatalogue. Trois cents unités documentaires alimentaient la base en créant ou dérivant leurs notices à partir des réseaux respectifs auxquels elles appartenaient : OCLC, BN-Opale et Sibil, les trois principaux "réservoirs de notices" des bibliothèques universitaires.
L'OCLC (Online Computer Library Center) est le plus grand réseau de catalogage partagé dans le monde. Avec plus de 44 millions de notices consultées par plus de 38 000 bibliothèques de tous types réparties dans 76 pays (une notice toutes les quinze secondes !), l'OCLC est un géant qui, bien que de statut "non-profit", dispose d'une stratégie industrielle relativement agressive et parfois dure à suivre. Les promoteurs du SU en ont fait les frais : aucun accord de coopération sur le nouveau système n'a pu être conclu à ce jour, le SU ne pourra plus intégrer de nouvelles notices de l'OCLC. Mais il faut savoir que depuis la fin de l'année 1999, l'OCLC a racheté la société hollandaise Pica, qui fournit l'infrastructure logicielle du SU. Comme nous l'explique une personne de l'Abes, " c'est un peu sortir par la porte pour rentrer par la fenêtre ".
Sibil (Système intégré pour les bibliothèques universitaires de Lausanne) est un autre réseau de catalogage partagé, utilisé en France depuis 1982. 27 bibliothèques universitaires alimentent cette base qui compte aujourd'hui 1,5 million de notices. Techniquement géré par le Cines (Centre informatique national de l'enseignement supérieur), le même centre qui abrite les serveurs du SU, son intégration devrait poser peu de problèmes.
Enfin, BN-Opale est, comme son nom l'indique, la principale base catalographique de la Bibliothèque nationale de France : plus de deux millions de références, dont toutes celles se rapportant aux livres entrés par dépôt légal, achat, don ou échange depuis 1970.
A noter qu'un accord a été conclu récemment avec Electre pour inclure dans la base les notices d'Electre Biblio.
passage à la gratuité
Mais le SU est loin de n'être qu'un simple successeur au Pancatalogue, puisqu'il renferme également les notices de deux illustres banques de données, le CCN-PS et Téléthèses. La Catalogue collectif national des publications en série est incontestablement une des (quelques) réussites de la coopération documentaire en France. Lancé en 1983, cette base permet aujourd'hui de localiser plus de 280 000 titres de périodiques dans près de 2 900 bibliothèques. Des bibliothèques qui ne sont pas toutes universitaires, ce qui n'est pas sans constituer une exception à la cohésion d'ensemble du SU. Téléthèses recense les thèses soutenues en France depuis 1972 pour les sciences exactes et appliquées, les lettres, sciences humaines et sociales, droit, science politique, sciences économiques et de gestion et depuis 1983 pour les disciplines de santé. Autant de bases dont le passage à la gratuité de la consultation se révèle une source d'économie de plusieurs milliers de francs pour certains établissements.
Le SU a également un rôle à assumer en ce qui concerne la fourniture à distance de documents (le prêt entre bibliothèques) et même, à terme, l'accès à des documents électroniques répartis su les serveurs d'universités. L'année prochaine, il sera consultable directement au travers du Catalogue collectif de France (CCFR).
moins de catalogage, plus de localisations
Globalement, comment va se passer le travail au sein de ce réseau ? A la différence du Pancatalogue, pour lequel les bibliothèques participantes envoyaient régulièrement leur travail sur bandes, les membres du SU catalogueront directement dans la base. Le fruit de leur labeur leur sera renvoyé quotidiennement par FTP (File Transfer Protocol). Paradoxe permis par les réseaux, le catalogage se fera donc d'abord à distance. Idéalement, on estime que chaque bibliothèque ne devrait plus avoir beaucoup de nouvelles notices à créer. La majeure partie du travail devrait consister en la localisation des notices existantes : déclarer en quelque sorte que l'on possède tel ouvrage, en tant d'exemplaires et que ceux-ci sont éventuellement empruntables. Outre les notices déjà réalisées par les membres du réseau, le SU met à la disposition des catalogueurs plusieurs réservoirs de notices encore non localisées, soit internes (comme Electre, ou les nouveautés de la BNF), soit externes accessibles via Z39.50 (comme les fonds de la corporation américaine RLG, Research Libraries Group). Chaque bibliothèque membre est identifiée strictement grâce à son numéro RBCCN (Registre des bibliothèques du catalogue collectif national des publications en série). Pour être intégrée, chaque institution doit faire son transfert initial (rien de psychanalytique en cause) : après identification sur le SU de toutes les notices de documents possédés en local (cette étape devrait poser peu de problèmes aux bibliothèques qui cataloguent déjà dans un réservoir bibliographique mentionné précédemment), celles-ci seront transférées afin de leur intégrer un numéro PPN (Pica production number), identifiant unique de chaque notice dans le SU. Ce qui implique que chaque éditeur de logiciel de gestion de bibliothèque ait pu réaliser le module adéquat.
Le catalogage dans le SU se fera selon les normes du format Unimarc, mais l'échange pourra se faire également en USmarc. Il est prévu d'utiliser en outre la norme d'échange Z39.50 pour accéder à des réservoirs extérieurs avec lesquels l'Abes aurait passé accord.
déploiement progressif
Sur le plan technique, on peut déceler également un changement de mentalité dans la mise en place de projets d'une telle envergure. Plutôt que de développer une application spécifique, il a été procédé à un appel d'offres remporté par la société néerlandaise Pica. La fourniture du matériel, le système d'exploitation ainsi que le déploiement sur les sites sont assurés par Bull. Les machines sont hébergées physiquement au Cines, à Montpellier. Le cœur du système, à savoir les données et les index (environ 60 Go), tourne sur un serveur Himalaya K2600 hexaprocesseur, un autre serveur est dédié aux accès à la base (Web et Z39.50) et deux serveurs Unix au pilotage (statistiques, tableaux de bord) et à l'administration. Le déploiement sur site commence le mois prochain, selon les sources de catalogage utilisées par les bibliothèques : d'abord celles qui utilisent BN-Opale, puis Sibil et OCLC. Il devrait se terminer au premier semestre 2002 avec l'équipement de toutes les bibliothèques qui n'utilisent pas une des sources citées.
expérimentation et bogues
En juin et juillet derniers, sept sites pilotes (1) ont pu expérimenter les fonctionnalités… et les dysfonctionnements du système. Avec comme point de mire des critiques l'instabilité du logiciel client WinIBW qui pouvait amener à devoir réinstaller le logiciel à chaque plantage. Bien que le problème ne soit pas entièrement résolu, de nombreux bogues auraient été corrigés depuis. Autre souci pour les bibliothécaires, la difficulté d'éditer des produits dérivés du catalogue : liste de nouveautés, sélection thématiques… Enfin, l'interfaçage entre Pica et Pebnet, le logiciel préexistant qui permet de gérer le prêt de documents entre bibliothèques n'est pas finalisé. On ne peut donc pour l'instant déclencher de demandes de prêt directement à partir du catalogue, ce qui était possible du temps du Pancatalogue. L'expérimentation a permis de dégager également l'importance de la formation (assurée en partie par le Bureau Van Dijk) de personnels aux qualifications et aux attentes parfois éloignées.
Sur le plan des usages, les choses seront certainement plus simples pour les bibliothécaires qui cataloguaient déjà dans un réservoir de notices, comme l'explique Jacqueline Chaynes, coordinatrice du site pilote de Lyon 2 : " Le catalogage partagé est ancré depuis longtemps dans les pratiques des bibliothèques universitaires ; on a changé de réseau et d'outils, mais le principe reste le même. "
(1) Lille 3, Nice Sophia Antipolis, Lyon 2, Rennes 2, Grenoble 2 et 3, Perpignan et université du Maine.
sudoc.abes.fr : une longue histoire
La catalogage partagé est une vieille lune en France, une belle idée qui a mis beaucoup de temps à se développer, mais que l'on commence à mettre en pratique aujourd'hui. Peut-être parce qu'en ce domaine également, Internet est arrivé à point pour jouer le rôle d'une plate-forme de communication fédératrice. L'histoire montre cependant que la technique n'a jamais été le plus grand obstacle à surmonter en matière de coopération documentaire. L'idée remonte en fait au début des années soixante-dix, lorsque l'informatique a commencé à déborder de ses domaines d'origine pour dévoiler ses promesses. En 1971 est créé le "Bureau pour l'automatisation des bibliothèques" (Bab) auquel on assigne les missions : " participation au réseau bibliographique international, catalogage national centralisé, automatisation des catalogues collectifs nationaux, création d'un centre informatique unique et autonome, préparation d'analyse des fonctions de gestion automatisées. " (1) 1976 voit la création du Cetib (Centre de traitement informatique des bibliothèques) et du Capar (système de catalogage partagé). Celui-ci comprend le Canac (Catalogage national centralisé, constitué en grande partie à partir de la Bibliographie de la France), les notices obtenues par échange avec les bibliothèques nationales étrangères, et les notices saisies par les bibliothèques participantes au réseau, avant correction et intégration dans le Canac. Faute de fonds informatisé conséquent à l'époque, le système ne connaît pas une grande fortune. On change alors le fusil d'épaule en décidant de commencer par informatiser les grandes bibliothèques, dont la Bibliothèque nationale et celle des Halles (qui allait devenir la BPI).
Au rayon des illusions perdues, on peut ranger également le logiciel Libra, initié par la Direction du livre et de la lecture à partir de 1982 et utilisé un temps dans les bibliothèques centrales de prêt, afin d'uniformiser le catalogage.
C'est finalement du côté universitaire que les projets coopératifs ont connu la plus grande postérité : le CCN-PS, le réseau Sibil, puis le Pancatalogue. Trois bases que l'on retrouve aujourd'hui dans le Système universitaire.
(1) M. Boisset, " L'automatisation dans les bibliothèques ", Bulletin des bibliothèques de France, 1973, n°7, p.337-342
- Olivier Roumieux, page créée le 1er juillet 2001 -