stratégie globale

les mathématiciens voient grand

olivier roumieux - février 2001 (Archimag)

Depuis plusieurs dizaines d'années, les mathématiciens et les bibliothécaires spécialisés élaborent ensemble des stratégies documentaires s'appuyant sur le réseau, le partage et la négociation avec les fournisseurs d'information. Que ce soit au niveau national ou européen.

La communauté des mathématiciens est réputée pour pratiquer depuis plusieurs années des stratégies documentaires innovantes, privilégiant le réseau et le partage de ressources. Un des exemples les plus récents, et importants, de ce type de stratégie est le projet européen Euler (du nom du mathématicien du XVIIIème Leonhard Euler), visant à fédérer l'accès aux publications de mathématiques (1). Le projet a duré un peu plus de deux ans, d'avril 1998 à septembre 2000, grâce à un financement européen (dans le cadre du programme "Telematics for libraries"). A l'origine du projet, une petite dizaine de partenaires, dont la Société de mathématiques européenne. En France, les bibliothèques de mathématiques d'Orsay et de Strasbourg ont contribué au projet, sous la coordination de la cellule MathDoc (Cellule de Coordination Documentaire Nationale pour les Mathématiques). Les données hétérogènes de chaque centre sont converties en XML, on leur applique des métadonnées au format Dublin Core, puis elles sont mises à disposition sur des serveurs répartis interrogeables selon la norme Z39.50.

puissance et limites

Euler montre la puissance et les difficultés d'un projet d'une telle envergure. Quelques mois après la fin du projet, Elizabeth Cherhal, ingénieur à la cellule MathDoc, dresse un bilan en demi-teintes. Fonctionnellement très apprécié des mathématiciens et des bibliothécaires spécialisés, le système a montré certaines limites, notamment du fait de son architecture répartie reliant les serveurs en Z39.50. Les temps de réponses peuvent s'avérer parfois assez longs, quand un des serveurs ne plante pas carrément. En outre, le projet semble rencontrer quelques difficultés à muer en service. La systématisation des processus de mises à jour et d'évolution nécessite de gros efforts, tant sur le plan humain que financier. Le projet a permis néanmoins de faire certaines avancées en ce qui concerne les métadonnées et la fusion de bases (particulièrement sur le sujet délicat du dédoublonnage). L'avenir d'Euler (2) réside dans la constitution d'un consortium qui saura s'attirer de nouveaux financements (notamment par le partenariat avec des éditeurs) et pourrait à terme jouer le rôle d'intermédiaire entre la communauté et les fournisseurs d'information.
Cette notion de consortium est un élément fort des nouvelles stratégies documentaires. Le principe en est de se réunir entre acteurs de mêmes préoccupations afin de négocier plus favorablement avec les éditeurs (3). Depuis plus de vingt-cinq ans, les mathématiciens et bibliothécaires spécialisés français se retrouvent au sein du Réseau national des bibliothèques de mathématiques (RNBM). Ce réseau est aujourd'hui composé d'une cinquantaine de bibliothèques de recherche implantées, pour 90 % d'entre elles, directement dans les laboratoires.

documentation spécifique

Une spécificité liée, selon Geneviève Sureau, co-responsable du RNBM et directrice de la bibliothèque de mathématiques d'Orsay, à la nature même de la production éditoriale en mathématiques. La documentation y est beaucoup plus cumulative et pérenne que dans d'autres disciplines, le chercheur a recours en permanence à des périodiques qui sont ses outils de travail. En 1996, le Réseau, dont les promoteurs mettent en avant " l'approche thématique et nationale ", décident d'analyser les besoins des chercheurs en ce qui concerne l'information. Deux grandes banques de données émergent : la base MathSci de l'AMS (American Mathematical Society) et le Zentralblatt Math édité par Springer. Pour cette dernière base, le Réseau a obtenu par le biais d'un accord de consortium le gel du coût de l'accès pendant quatre ans (de 1998 à 2002) ainsi qu'une réduction de 15 % sur l'abonnement papier. " Ce qui n'est pas négligeable ", commente avec satisfaction Geneviève Sureau. Côté périodiques, Springer a proposé, dans le cadre de ce que l'éditeur nomme "l'offensive mathématique", l'accès libre pendant un an à une soixantaine de versions électroniques de périodiques de mathématiques. Cet accord a été prolongé d'un an, ce qui a permis au RNBM d'évaluer les usages des chercheurs et de retenir une trentaine de titres pour la négociation qui a cours actuellement et qui devrait se conclure au premier trimestre 2001. Le Réseau a en effet obtenu l'an dernier de la part du CNRS une subvention d'" action spécifique " d'un montant d'environ 6 millions de francs (914 694 €) portant sur le surcoût de l'accès aux périodiques électroniques et la numérisation de périodiques français. Les laboratoires ne devraient donc pas supporter les surcoûts engendrés par l'apparition des versions électroniques. Les abonnements papier ne sont pas abandonnés, les chercheurs en mathématiques étant très attachés à la possibilité de feuilleter les revues pour assurer leur propre veille, chose moins possible avec des bases d'accès direct aux articles électroniques. Dans le même temps, la constitution d'un fonds documentaire numérisé servira de monnaie d'échange pour les prochaines négociations avec les éditeurs. Le Réseau sensibilise également régulièrement les chercheurs aux coûts des publications, en les incitant à publier dans les périodiques qui ont des politiques tarifaires "raisonnables". Bref, le RNBM se donne les moyens de sa stratégie documentaire.

(1) www-mathdoc.ujf-grenoble.fr/euler/
(2) www-irma.u-strasbg.fr/EMIS/projects/EULER/Reports/D52.html
(3) Ghislaine Chartron, " s'intéresser à des solutions alternatives avant de se lancer dans les consortiums ", propos recueillis par Michel Remize, Archimag n°135, juin 2000.

- Olivier Roumieux, page créée le 1er juillet 2001 -

Valid HTML 4.01! Valid CSS!