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nouvelles stratégies de l'information et de la communication

olivier roumieux - février 2001 (Archimag)

Les technologies ne sont plus nouvelles, mais les usages ne sont pas encore mûrs. La numérisation et la généralisation des réseaux ouvrent de nouvelles perspectives aux professionnels de l'information. Qu'il reste à traduire en stratégies.

Nouveau millénaire oblige, le moment est bien choisi pour passer en revue l'ensemble des mutations que connaissent maintenant depuis plusieurs années les centres de ressources documentaires. Archimag entame ainsi une série d'articles, répartis sur trois mois (février, mars et mai), consacrés aux stratégies nouvelles à mettre en place pour revivifier les systèmes d'information, aux portails d'entreprise et enfin aux outils et techniques pour mieux gérer l'information mise à disposition sur un site web.
Par stratégie, nous entendons la politique mise en place par un professionnel de l'information, qu'il soit documentaliste, bibliothécaire ou archiviste, pour répondre aux attentes de ses utilisateurs. Cette stratégie doit prendre en compte des éléments organisationnels, financiers, communicationnels, techniques, humains et juridiques. Si ces éléments sont connus sous une forme ou une autre depuis quelques années, il n'en reste pas moins que certains d'entre eux ont fortement évolué récemment.

détournements de technologies

On pense bien évidemment plus particulièrement aux mutations technologiques. Si celles-ci sont pressenties depuis longtemps (on se souvient notamment du rapport Nora-Minc de 1978), on peut dire aujourd'hui que le bureau d'un travailleur de la connaissance est radicalement transfiguré par rapport à celui d'il y a vingt ans. Micro-ordinateurs, réseaux locaux, supports de stockage, imprimantes et photocopieurs multifonctions. Les outils sont là, et pourtant les usages se construisent. Quelques études ont déjà pointé du doigt le décalage parfois énorme entre l'éclosion d'une technologie et son adoption par un public (1). Les exemples abondent de détournements de technologies lors de leur appropriation par le public : le téléphone au départ conçu pour retransmettre des pièces d'opéra, le Minitel popularisé par sa fonction de messagerie…
La question est donc centrale pour le professionnel de l'information doté d'un tant soit peu de "quincaillerie" : comment l'exploiter au mieux de ses capacités, et surtout en phase avec les attentes des utilisateurs.

entropie informationnelle

Deux concepts fondamentaux émergent : la numérisation et les réseaux. Au-delà de ses différentes facettes, abordées tous les mois dans ces colonnes, la numérisation a fait voler en éclat la notion d'exemplaire. Un fichier numérique peut être copié à l'infini (en attendant la diffusion de techniques de restriction) et à l'identique, et modifié jusqu'à donner naissance à de multiples versions parmi lesquelles il devient difficile de retrouver le processus rédactionnel. Un problème d'une telle importance que Microsoft a jugé bon d'intégrer depuis trois ans à Word des fonctions de raturage et de corrections apparentes. L'entropie informationnelle envahit ainsi une nouvelle zone de l'entreprise : son serveur de données. Sans compter les problèmes de droit que peut susciter cette dématérialisation : quand une bibliothèque possède un exemplaire d'un livre, elle ne peut le prêter qu'à une personne, ce qui n'est plus le cas avec le fichier numérique.
Les circuits du document sont également démultipliés avec les facilités des réseaux. Maîtrisés, ils permettent incontestablement une meilleure diffusion de l'information ; négligés, ils deviennent les complices d'une surinformation actuellement mal vécue par beaucoup.

tout le monde recherche

Stratégique également, la prise en compte de l'arrivée d'Internet directement sur les bureaux des employés. Internet a démocratisé la recherche d'informations. Tout le monde utilise les zones de recherche pour trouver un livre, un rapport… ou faire ses courses. Paradoxalement, l'utilisateur en tire une attente et un constat : l'information peut et doit parvenir rapidement ; il est très compliqué de trouver la bonne information sur l'Internet. Le rôle des professionnels de l'information en sort renforcé, avec la pression des délais en plus.
Outre la mission de fournisseur d'information, le professionnel doit ici développer la dimension formatrice, présente dès les origines du métier de documentaliste. Peut-être n'attendra-t-on plus bientôt d'un documentaliste qu'il trouve des réponses, mais qu'il accompagne uniquement des stratégies de recherche. Selon une démarche de veille passive, par le biais de fiches méthodologiques sur l'intranet de l'entreprise, mais également par des actions ponctuelles plus actives. Après l'information primaire et secondaire, la documentation deviendrait ainsi un centre de ressources tertiaires où trouver de l'information qui aiguille vers des gisements de données.
La gamme des services et produits documentaires s'ouvre ainsi à de nouvelles stratégies. Les nouveaux dispositifs techniques accueillent aujourd'hui des produits traditionnels (revues de presse, diffusion sélective de l'information…) et permettent l'éclosion de services repensés (comme des bases de connaissances collectives et cumulatives). La transition n'est pas toujours évidente : tel quotidien régional autorise un centre de documentation à photocopier ses articles pour une revue de presse papier, mais refuse que ses pages web soient copiées. Un bel exemple qui met en lumière l'importance du concept de lien : les informations devraient être de moins en moins acquises et possédées, mais plutôt accessibles par lien et utilisées ponctuellement, dans le respect d'accords. Ce qui n'est pas sans danger lorsque l'on se place dans une perspective patrimoniale. Le professionnel se mue ainsi progressivement en gestionnaire de droits, mais également, pourquoi pas, en "expert en sécurité patrimoniale". On retrouve ici une dimension de "gestion des connaissances" amenée à se développer dans les prochaines années.
Dire qu'un bibliothécaire ne s'occupe plus seulement de livres est une chose, transposer son expertise sur les ressources virtuelles en est une autre. Idem pour les archivistes, dont le savoir-faire devrait être sollicité avec l'expansion désordonnée des pages HTML sur le Web.

le retour de l'évaluation

Autre mutation stratégique permise par les technologies : la possibilité de tests opérationnels rapides de nouveaux produits documentaires. A l'image des technologies de l'Internet, on développe un nouveau produit simple, puis on l'enrichit selon les réactions des utilisateurs. Ainsi, avant de lancer une lettre de veille sur un thème bien précis, il vaut mieux commencer par un sondage d'intérêt sur l'intranet de l'entreprise. Pour reprendre un concept désormais incontournable : on étudie le marché. Du même coup, l'évaluation retrouve les faveurs des responsables, puisqu'elle s'avère moins brutale, plus progressive. Et favorise ainsi la définition de nouveaux usages. Bien sûr, et cela n'est pas nouveau, la renégociation de "sphères professionnelles" n'est jamais aisée ; le partage ou l'échange peuvent faire peur. Cette renégociation peut ouvrir également, comme nous le verrons dans les pages qui suivent, de nouvelles perspectives.
Quoiqu'il en soit, nul besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'il s'agit ici de repenser les fonctions documentaires, bibliothéconomiques et archivistiques. Loin de nous l'idée que telle ou telle profession soit amenée à disparaître, contrairement à ce qu'ont pu penser certains à la lecture d'un de nos précédents dossiers (2). De nouvelles pratiques sont à inventer, pour retrouver une place centrale dans une société où l'information abonde, mais reste tout autant stratégique.

(1) cf. notamment :
Jacques Perriault, "La logique de l'usage : essai sur les machines à communiquer", Flammarion, 1989.
Florence Millerand, "Usages des NTIC : les approches de la diffusion, de l'innovation et de l'appropriation (1ère partie)"
http://commposite.uqam.ca/98.1/articles/ntic_1.htm
(2) "Que reste-t-il de la documentation ?", Archimag n°134, mai 2000.

- Olivier Roumieux, page créée le 1er juillet 2001 -

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