grandes bibliothèques

les nouveaux temples de la connaissance

olivier roumieux - décembre 2000 (Archimag)

Les grandes bibliothèques poussent lentement, mais sûrement, à travers le monde. Monstres anachroniques pour les uns, temples de la connaissance pour les autres, les bibliothèques connaissent un regain de vitalité au moment même où les réseaux développent leurs ramifications. Un signe de transition rassurant pour préparer l'entrée dans le XXIe siècle.

" On n'a jamais construit autant de bibliothèques, ni vu autant d'affluence dans leurs murs, que depuis l'invention d'Internet ", soulignait malicieusement Michel Melot, chargé de la sous-direction des études, de la documentation et de l'inventaire au ministère de la Culture, lors d'un colloque international " Architectures et bibliothèques " qui s'est déroulé en février dernier au Centre Pompidou. L'antienne est maintenant connue : pourquoi, aujourd'hui plus qu'hier, construit-on de grandes bibliothèques, alors que nous touchons du doigt grâce à Internet le mythe de la bibliothèque universelle ubiquitaire ? C'est un chercheur américain, Michael Lesk, qui a jeté le premier pavé dans la mare avec l'affirmation, forcément discutable, que la Bibliothèque nationale de France aurait coûté deux à trois fois moins cher si l'on s'était contenté de numériser l'intégralité de ses collections, plutôt que de construire le bâtiment que nous connaissons (1). Il convient tout de même de rappeler que la Bibliothèque nationale de France a coûté, pour sa réalisation, près de 8 milliards de francs, que son budget s'élève cette année à près de 754 millions de francs (2), soit environ 4,6 % du budget 2000 pour la culture. Tout cela, diront les mauvaises langues, pour un fonctionnement en pointillé et une fréquentation encore peu satisfaisante. L'informatique est pourtant présente à la BNF, il suffit pour s'en convaincre de débusquer au coin d'un couloir le fameux "écran bleu de la mort" sur un des postes de consultation ou d'information, signe que sous les aspects vénérables de l'institution, Windows règne… et "plante". Trop présente, pense certainement l'habitué de la rue Vivienne (siège de l'ancienne BN), contraint de monter dans le train d'une "révolution" imposée. Pas assez, répondra le jeune chercheur, agacé de ne pas trouver encore plus de documents consultables librement de chez lui. De quoi rapprocher inexorablement le chercheur de la schizophrénie, perdu entre ses abonnements aux journaux électroniques, le Web, et le déplacement encore obligé dans des centres de ressources spécialisés.

vitalité culturelle

En France, la construction de nouvelles bibliothèques est présentée par nos édiles, à raison, comme un signe de vitalité culturelle, après des années de marasme. Jean-Sébastien Dupuit, directeur de la direction du Livre et de la Lecture, avançait ainsi lors du colloque précédemment évoqué le chiffre de 200 constructions/extensions de bibliothèques par an. Les bibliothèques universitaires, un secteur notoirement sinistré, connaissent elles aussi leur floraison de nouveaux bâtiments, ou d'embellissements. Marie-Françoise Bisbrouck, chargée de mission pour les constructions à la sous-direction des Bibliothèques et de la Documentation, rappelle dans un article du Bulletin des Bibliothèques de France (3) que 110 bâtiments, nouvellement construits ou ayant fait l'objet d'extension, auront été ouverts au public entre 1992 et la rentrée 2001. Alors qu'aucune construction n'avait eu lieu pendant quinze ans !
Comme quoi la brique résiste encore au clic. Mais qu'ont donc à envier les bibliothèques virtuelles aux bibliothèques physiques ? Graham Bulpitt, directeur du Learning Center de Sheffield, en Angleterre, remarque justement que les projets virtuels n'apportent pas encore la dimension sociale, l'encadrement des bibliothécaires et la centralisation typiques des bibliothèques "en dur". Des caractéristiques qui sont effectivement encore en développement en ligne. Le manque de lien social est manifeste quand on voit la déferlante de "communautés" en tous genres, souvent plus verticales que transversales. Les nouveaux services de recherche faisant intervenir des experts humains tentent quant à eux de recréer une intermédiation entre question et réponse. Enfin, le déficit de centralisation se manifeste par la prolifération de portails censés constituer l'accès universel au cyberespace.
Universalité, le mot est lâché… mais inapplicable. La preuve malheureusement la plus criante en est peut-être le chantier de la Bibliotheca alexandrina. Un projet évidemment chargé symboliquement, puisqu'imaginé pour suivre les traces de sa prestigieuse aînée, disparue dans les flammes il y a près de deux mille ans. Difficile d'exister avec un pareil héritage : l'inauguration du bâtiment est sans cesse repoussée (on parle aujourd'hui de printemps ou automne 2001, alors qu'il y a quelques mois, on se fixait encore sur la fin de cette année), le fonds est encore peu développé mais, surtout, la censure menace régulièrement (4).

architectes et bibliothécaires en ménage

A travers le monde, les bibliothécaires et les architectes sont donc amenés à se rencontrer de plus en plus fréquemment. " Les architectes et les bibliothécaires sont en ménage, plus ou moins bon, après s'être ignorés pendant de nombreuses années ", confirme Martine Blanc-Montmayeur, directrice de la Bibliothèque publique d'information. " Tout est fait pour qu'ils s'entendent - ce sont des gens d'ordre, de classement, d'organisation, continue-t-elle, et pour qu'ils ne s'entendent pas : ils ne rangent pas la même chose ! " Et il faut bien reconnaître que les architectes sèment parfois le désordre dans le paysage. Parfois, après la polémique, l'audace paie, comme c'est le cas avec le Centre Georges Pompidou. D'autres fois, la pilule est bien plus amère et nombre de magasiniers doivent encore maudire les atermoiements de la BNF avec son architecte, Dominique Perrault : la symbolique des livres ouverts, pour les tours, est largement éventée, rappelant les vestiges d'une curieuse conception de la conservation des ouvrages (4). Il n'en reste pas moins que la tendance est au gigantisme. Un gigantisme qui met paradoxalement en avant des matériaux inspirant la légèreté, voire la transparence, concept rabâché en cette fin de siècle. Nous vous présentons dans les pages qui suivent une sélection d'ouvrages tout juste bâtis ou bien encore en projet. Si l'on n'est guère assuré de la pérennité des constructions, la volonté de marquer l'époque est claire. Et dans notre époque transitoire, le territoire est encore ce qu'il y a de mieux pour frapper les esprits.

(1) Michael Lesk, "Practical digital libraries : books, bytes and bucks". - New York, Morgan Kaufmann Publishers, 1997.
(2) Ces chiffres sont tirés du rapport des sénateurs Philippe Nachbar et Philippe Richert, "La Bibliothèque nationale de France : un chantier inachevé"
www.senat.fr/rap/r99-451/r99-451.html
(3) Marie-Françoise Bisbrouck, "Les bibliothèques universitaires : l'évaluation des nouveaux bâtiments", BBF, t. 45, n°3, 2000, p. 31-38.
(4) Claude Guibal, "La bibliothèque d'Alexandrie peine à renaître de ses cendres", Libération, 31 juillet 2000.
(5) A l'origine du projet, ces tours devaient stocker la plus grande partie du fonds de l'institution, au mépris des conditions de lumière et d'hygrométrie.

la tournée des grands ducs

Pour mener à bien la définition de son projet de Grande Bibliothèque du Québec, Lise Bissonnette, présidente-directrice générale de l'institution, a eu l'idée au printemps 1999 de réaliser une tournée de quatorze grandes bibliothèques récemment construites à travers le monde. La caravane québécoise a ainsi visité cinq bibliothèques américaines (Chicago, Denver, New York, Phœnix et San Francisco), trois danoises (Copenhague, Gentofte et Rodovre), deux finlandaises (Helsinki et Tampere), deux hollandaises (La Haye et Rotterdam) et deux suédoises (Malmö et Stockholm). Yvon-André Lacroix, directeur général de la bibliothéconomie en a tiré une synthèse tout à fait intéressante concernant les " traits communs des grandes bibliothèques publiques ". " Ces grandes bibliothèques ont une architecture résolument moderne et contemporaine et affichent une identité visuelle qui traduit une forte vitalité ", écrit-il. " Loin d'être banales, elles savent être fantaisistes et parfois provocantes. […] Ces bibliothèques sont ouvertes sur le monde extérieur par une utilisation parfois très large d'une fenestration. Un habillage léger et transparent qui, de jour comme de nuit, les rend très belles et invitantes. "
www.grandebibliotheque.qc.ca/francais/discours/traitscommuns.html

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- Olivier Roumieux, page créée le 1er juillet 2001 -

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