Internet gratuit

à quand l'addition ?

olivier roumieux - novembre 2000 (Archimag)

Malgré les cadavres, les fournisseurs continuent à rivaliser d'imagination dans l'élaboration de leurs offres. AOL est le dernier en lice à faire le pari de l'illimité forfaitaire. Tous se placent dans le contexte de la libéralisation des télécommunications.

" Depuis ce mercredi connexion horrible. Ça ne fait que deux jours mais ça ne semble pas s'améliorer, que ce soit à midi ou le soir.
- Je pense (j'espère) que les investissements sont réels et que ça va vite s'améliorer. Donnons leur quelques jours avant de vraiment râler. "
Extrait d'une conversation comme on peut en suivre des centaines sur le groupe de discussions " fr.reseaux.internet.fournisseurs ". AOL est aujourd'hui au centre des débats, mais depuis mars, le cycle est invariablement le même. WorldOnline, OneTelNet et, dans une moindre mesure, WorldNet et Freesurf ont fait les frais d'offres commerciales très agressives… et irréalistes. Le principe ? Proposer un accès à l'Internet illimité (semi-illimité dans le cas des deux derniers fournisseurs) comprenant les frais de télécommunications pour un forfait entre 100 et 200 francs. Même Freesurf, qui avait eu le mérite de poser des règles du jeu relativement claires (forfait valable de 19 h à 8 h et le week-end, accès uniquement au Web, au courrier électronique et aux news), a dû jeter l'éponge le mois dernier de manière tout à fait inélégante pour ses clients. Ceux-ci ont vu effet prendre fin leur forfait au bout des trois mois prévus, mais sans préavis et sans proposition de reconduite. Une expulsion virtuelle, sans autre forme de procédé. A chaque épisode, les causes semblent être les mêmes : sous-estimation de l'attrait de telles formules auprès d'un public de jeunes internautes assoiffés de folles nuits de jeux en réseau, incertitudes des fournisseurs quant au modèle économique.

comment limiter l'illimité

Mais quand le géant mondial (25 millions d'abonnés) s'adonne au même type de plaisanterie, les cyniques se taisent. Las, AOL France éprouve tout simplement les mêmes difficultés que ses infortunés prédécesseurs : coupures régulières, connexions difficiles à établir, débits faibles… Au point d'en venir à des mesures peu populaires auprès des abonnés, comme d'obliger à cliquer sur une fenêtre toutes les demi-heures ou bien de limiter la durée de connexion en fonction de l'affluence. Un comble pour une offre illimitée ! Pour sa défense, le fournisseur dispose tout de même de quelques atouts, comme de pouvoir investir il y a quelques jours 600 millions de francs pour quadrupler la capacité de son réseau et doubler les effectifs de son service clientèle.
Dans le cas d'AOL pourtant, l'affaire semble avoir été organisée de façon plus rationnelle : fin des inscriptions à la fin de l'année et offre spéciale (99 francs au lieu de 199) pour ceux qui s'engagent sur deux ans. Deux ans, ça peut être très long pour l'utilisateur, qui devrait voir défiler pendant ce temps de nouvelles offre alléchantes. En outre, l'important pour le fournisseur est d'attendre le dégroupage de la boucle locale (cf. encadré). Alors qu'aujourd'hui, il doit reverser en moyenne 5 francs par heure de connexion de chaque abonné, l'ouverture totale des réseaux devrait lui permettre de mieux contrôler ses coûts, et donc de les faire baisser. Sans compter qu'AOL, par la voix de son P-dg Stéphane Treppoz, souhaiterait lui aussi bénéficier d'un forfait illimité quant à l'interconnexion avec le réseau de France Télécom.
De telles péripéties doivent inciter les professionnels à la méfiance, eux qui ne sauraient utiliser de tels forfaits pour leur activité. Si l'illimité est un critère alléchant, il vaudra mieux se tourner vers des solutions plus rodées comme une ligne spécialisée ou l'ADSL (Asynchronous Digital Symetric Line).
Que penser alors des offres complètement gratuites, accès et communications téléphoniques ? Peu de choses à vrai dire quand on se place dans le contexte d'une utilisation professionnelle. Oreka propose toujours ses 18 heures gratuites par mois (4 heures dans un premier temps) et M6Net a conclu le mois dernier son offre de 6 heures gratuites en ayant entraîné 400 000 abonnés dans son sillage. Ces offres peuvent s'avérer de bons compléments aux autres offres classiques (les forfaits avec les frais de communication compris), mais ne sauraient s'y substituer.
Les "seulement" gratuits (l'usager paie les communications téléphoniques) tiennent bien la route, la plupart des offres lancées l'année dernière sont toujours dans la course. Les pertes abyssales de Liberty Surf ne l'ont pas empêché de racheter à la fin du mois dernier un autre "gratuit" Freesbee. Outre de nouveaux services et partenariats, un tel rachat apporte de nouveaux abonnés à un fournisseur également opérateur de télécommunications au travers de sa filiale AXS Telecom. Plus nombreux seront les abonnés à l'Internet, plus le groupe disposera de clients potentiels pour ses nouveaux services vocaux. Où l'on retrouve les perspectives prometteuses du dégroupage…

le dégroupage en bref

Le dégroupage constitue l'étape ultime de la libéralisation des télécommunications en France. Après l'ouverture à la concurrence des communications nationales, déjà effective, le dégroupage concerne la boucle locale. Les opérateurs intéressés vont pouvoir proposer leurs services directement aux abonnés : que ce soit de la voix ou bien des services Internet haut-débit. On attend d'une telle opération, qui devrait débuter en janvier prochain, le réel décollage des offres Internet à haut-débit, puisque les opérateurs pourront contrôler toute la chaîne de communication. Concrètement, cela signifie que les concurrents de l'opérateur historique pourront s'installer dans les locaux qui abritent ses propres commutateurs. On peut imaginer les problèmes que va poser ce genre de cohabitation. D'autant que France Télécom n'est pas vraiment réputée pour son sens de la coopération : l'opérateur dispose d'assez de ressources (juridiques et techniques) pour mettre des bâtons dans les roues de ses concurrents. Pour preuve, la société a décidé de vendre 2 341 F.ht les cartes décrivant les zones couvertes par chacun de ses commutateurs. Y a pas de petits profits… même pour les hauts-débits.

- Olivier Roumieux, page créée le 1er juillet 2001 -

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